Dernière conversation avant les étoiles par Nébal
Où l'on continue la dévoration fanique de tout ce qu'a pu écrire Philip K. Dick, ou de ce que l'on a pu écrire sur lui. Cette fois avec un entretien un peu particulier, puisqu'il s'agit tout simplement de la dernière interview accordée par l'auteur, à la jeune journaliste Gwen Lee, en janvier 1982. Deux mois après ce long entretien, Dick meurt, âgé de 54 ans... Ce qui, on l'avouera, confère une coloration particulière à ces pages. « Las, Philip K. Dick n'est plus / Dieu va prendre mon pied au cul », comme disait Michael Bishop dans son intéressant Requiem pour Philip K. Dick.
Mais, en attendant, c'est un Dick bien vivant – et relativement en forme – que l'on rencontre dans cet entretien. Un Dick plus gouailleur et blagueur que jamais, interlocuteur fascinant mais doté d'une forte propension à passer du coq à l'âne, selon une logique qui a parfois de quoi laisser perplexe. Un Dick qui parle de tout et de rien avec une jeune journaliste qui est avant tout une amie.
Mais c'est que Dick, dans ces pages, si l'on en ôte quelques longues digressions sans grand intérêt pour le lecteur, a bien des choses à dire, sur trois thèmes essentiellement.
Le premier, c'est l'adaptation de Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? sous le titre de Blade Runner, par Ridley Scott. Ce qui est l'occasion de tordre le cou à certaines légendes, et notamment au fameux « Ils ont tué Dick ! » (de Jean-Pierre Dionnet, je crois, mais je dis peut-être des bêtises... ?) [EDIT : je dis des bêtises, c'était de Manoeuvre.]. Dick fait preuve d'un enthousiasme certain pour le travail réalisé sur les effets spéciaux, notamment, et est loin d'adopter la posture d'un auteur trahi par Hollywood : s'il admet volontiers que le film n'a pas forcément grand chose à voir avec son roman, il ne s'en plaint pas, et semble trouver plutôt intéressante la manière dont on a « accaparé » son univers et ses thématiques.
Deuxième thème majeur : l'écriture, bien sûr. C'est notamment l'occasion de revenir sur son (génial) dernier roman, La Transmigration de Timothy Archer, avec nombre d'anecdotes intéressantes. Mais, plus intéressant encore, on voit Dick improviser à moitié le scénario de son prochain romain The Owl in Daylight, qui ne fut donc jamais écrit... Une vraie leçon sur le métier d'écrivain, et un condensé à la fois fascinant et déprimant d'un roman mort-né, qui n'a pas fini de nous faire rêver...
Dernier thème, enfin – mais indissociable du précédent, sans surprise – : les interrogations mystiques, pour ne pas dire religieuses. Dick revient abondamment et de manière passionnante sur sa troublante « expérience » de 1974 et sur ses conséquences, tant professionnelles que personnelles. On a beaucoup écrit à ce sujet, mais cet ultime entretien contient bon nombre d'éléments à même d'éclairer un peu plus la genèse des derniers romans dickiens et plus particulièrement de La Trilogie divine.
Ce court ouvrage, sans surprise, n'est véritablement destiné qu'à un public assez restreint. Seuls les fanatiques les plus décérébrés (dans mon genre, quoi) sauront véritablement y trouver un quelconque intérêt. Mais ceux-là, très honnêtement, se régaleront, et auraient tort de s'en priver. À bon entendeur...