Le rire est sans pourquoi
Ce petit livre a commencé par m'agacer prodigieusement. Plus qu'un voyage philosophique au pays du bonheur, on découvre aux premiers chapitres une philosophie du développement personnel - ce n'est pas inintéressant en soit, mais 1. ce n'est pas ce que j'attendais (surtout à avoir feuilleté rapidement des dernières pages) et 2. l'équation bonheur=bien-être me laisse de marbre. Puis j'ai fini par en rire, et à m'intéresser à toutes ces techniques de fluidification de l'ego attaché à sécuriser _son_ bonheur, _ses_ limites. Et j'ai fini par le délaisser.
Jusqu'à aujourd'hui, où par acquis de conscience et curiosité, j'ai compulsé, assez en diagonale il faut l'avouer, les quatre derniers longs chapitres, qui se déplient dans un tout autre climat, celui, il me semble, du bonheur à sa plus haute intensité - celui-là même dont s'ouvre la possibilité lorsque le bonheur n'est plus perçu comme l'état qui nous vient dès lors que "le monde se plie à notre désir" mais que nous en venons à "désirer "ce qui est"" ou plutôt, je glose, recevoir ce qui est comme c'est (ch. 18).
Dans l'alternance des visions d'Occident (Epicure, Montaigne, Spinoza) et d'Orient (Buddha, Tchouang-Tseu et très brièvement Mâ Anandamayi), s'établit alors une cartographie provisoire de ce qu'on appellera, faute de meilleur nom, chemins spirituels, au long d'un fleuve qui mène, des hautes-terres où l'air des des pus raréfiées aux vapeurs capiteuses des embouchures. Je ne partage pas cette façon de faire carte, qui appartient à la sensibilité particulière de l'auteur, mais je la trouve potentiellement bien éclairante pour tous ceux qui se perdraient dans la jungle des éthiques spirituelles - et, au fond, elle reste juste, à la mesure au fond de ces tentatives philosophique qui ne peuvent progresser sans opérer de classement.
Si je ne m'y retrouve pas, chez Fréd Lenoir - mes classifications propres en la matière étant infiniment plus fluides, arborescentes, transitoires et inconséquentes - sa posture au demeurant me frappe par sa justesse propre, correspondant à un trajet fort informé et, à sa façon, pudique, entre Orient et Occident, à la recherche de cette liberté si vaste qu'elle englobe le monde, et qui s'en vient lorsque l'on cesse de se croire quelqu'un.
Le texte est par ailleurs très lisible, vivant et très agréable - pour qui a une connaissance des auteurs évoqués, les derniers chapitres se diagonalisent sans grande difficulté en un quart d'heure. Bref, la philosophie n'y est ni ardue, ni technique, et le contenu peut donner à penser, si, engagé dans un processus de transformation de soi, l'on peine à y voir clair quant aux buts, et quant à la cohérence interne des discours, pour le moins (et inévitablement) assez variés qui s'y rapportent. D'où que, ne le conservant pas dans ma bibliothèque, et persuadé qu'il fera sourire en bien des points toute personne fort engagée dans telle ou telle voie, voire agacera les dents d'un philosophe habitué aux sucres raffinés des subtilités techniques, je le trouve volontiers recommandable.
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