Du champagne, un cadavre et des putes
Avoir eu, un jour, il y a plus de dix ans, le projet d'écrire un roman de 2500 pages racontant la vie et le meurtre d'une hôtesse de bar à champagne était un pari insensé et suicidaire... Ce pari est en passe d'être gagné et de belle manière. T.E. Vaquette vient de publier – à compte d'auteur, j'y reviendrai – le deuxième tome de cette saga. J'avais découvert il y a un peu plus d'un an le premier tome qui présentait les personnages et j'avais été ébloui par la maîtrise de l'écriture.
Cette impression sort renforcée à la lecture du deuxième tome.
Chaque protagoniste est vrai, crédible, chacun a sa propre façon d'être et de s'exprimer, nulle caricature cependant... Je recommande tout particulièrement Shéhérazade dont le langage « banlieue » est un chef-d’œuvre de poésie qui a dû demander un énorme travail de recomposition à l'auteur et même si vous n'en comprenez pas réellement le sens laissez vous porter par la musique, comme vous le feriez avec Bach ou Wagner.
Bien entendu le propos est beaucoup plus ambitieux, il ne s'agit pas simplement d'un jeu d'écriture pour l'Oulipo, c'est à la fois un roman policier, un livre philosophique, une réflexion sur le monde de l'art, de l'édition, des médias, une introspection sans complaisance. Chaque personnage principal est une pièce du puzzle permettant, me semble-t-il, de reconstituer Vaquette dans sa vérité et son intégrité (dans tous les sens du terme).
L'idée maîtresse de ce grand roman est de faire évoluer le personnage d'Alice à travers son journal intime, ce qui permet de la voir grandir , s'affirmer et devenir quelqu'un d'autre. Pour permettre de comprendre son évolution l'auteur n'hésite pas à feuilleter ce journal dans le désordre, passant d'un moment à l'autre, revenant en arrière, sans pour autant perdre en cohérence. En contrepoint l'affrontement entre Lawrence, l'amant d'Alice et Lespalette, l'OPJ chargé de l’enquête confronte deux visions du monde et des mœurs.
Quelques scènes peuvent choquer, et personnellement je n'aime pas beaucoup le titre qui fait « roman de gare », mais que cela ne vous rebute pas, le contenu vaut beaucoup mieux que le contenant.
Sans doute, cette œuvre a-t-elle été considérée par les tenants de l'édition, comme trop intellectuelle, sortant par trop des sentiers (re)battus, ou alors trop longue pour intéresser un large public. Malgré tout, l'auto-édition permettra à quelques happy few la découverte d'une œuvre qui dépasse de plusieurs longueurs la majorité de la littérature française contemporaine. Et puis rien n'est encore perdu Proust n'a vendu que 300 exemplaires de la 1ère édition de la Recherche...
L'abbé DUBOIS. 15 mars 2021