Dépassé
Rousseau est un vieil auteur dont une partie des prémisses sont maintenant clairement dépassées. La plus dommageable d'entre elles est sans doute son postulat de départ qui veut qu'il ait existé un...
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Rousseau est un vieil auteur dont une partie des prémisses sont maintenant clairement dépassées. La plus dommageable d'entre elles est sans doute son postulat de départ qui veut qu'il ait existé un état de nature de l'homme où celui-ci vivait seul, totalement libre et heureux, sans société. La fondation de la société, pour Rousseau, marque une chute, une dégradation de l'homme. Le respect du Contrat social, cependant, est ce qui doit permettre l'existence de la moins mauvaise des sociétés.
Il me semble que Proudhon avait été beaucoup plus clairvoyant lorsqu'il affirmait (dans Qu'est-ce que la propriété) une sorte de renversement du Contrat social de Rousseau : la société existe déjà de façon primitive, mais le Contrat social est ce qui permet l'existence de l'individu dans le groupe, sans l'en séparer. Bien évidemment, il y a toujours quelque chose de théorique dans cette approche, mais elle me semble bien plus féconde et justifiée.
Bien sûr, Rousseau écrivait près de 80 ans avant Proudhon, et l'état des connaissances a bien changé entre temps. Le gouffre est encore plus béant avec notre propre époque. Cela dit, les a-priori de Rousseau imprègnent encore considérablement la pensée moderne : c'est incroyable de constater à quel point même le tout-venant a le réflexe d'imaginer la société comme dégradation de l'homme originellement bon, comme poids, comme contrainte unilatéralement mauvaise du génie individuel. Dans une certaine mesure, Rousseau prépare le post-modernisme d'aujourd'hui (au détail près qu'il n'imagine pas aller jusqu'au bout de ses conclusions : d'où sa théorie du Contrat social).
A l'inverse, pour Proudhon la société est ce qui permet à l'individu d'exister librement : les autres ne sont pas une entrave à sa liberté, ils en sont le garant. Proudhon était d'origine paysanne : une abstraction comme celle de la vie solitaire dans la nature devait lui paraître inconcevable, puisqu'il a lui-même vécu la pénibilité du travail des champs qui n'est possible que collectivement. Rousseau devait se représenter la nature originelle comme elle est représentée dans la Genèse...
Bref, je m'étonne qu'on lise toujours autant Rousseau, ou qu'on le brandisse encore, même parmi les jeunes, comme garant d'une bonne refondation du régime républicain par exemple (qui, s'il est décadent, ne l'est pas pour rien non plus). La démarche me paraît profondément réactionnaire et vaine. Cependant, je comprends qu'on trouve dans la théorie du Contrat social un horizon palpable et raisonnable pour penser la vie sociale. Et de fait, je ne pense pas que cette théorie soit dépourvue de sens, cependant il me paraît indispensable de la "remettre à l'endroit", comme l'a fait Proudhon.
Le point fort de cette théorie du Contrat social, c'est de montrer le besoin d'équilibre qui existe dans une société : on peut dire que chaque société accepte les inégalités qu'elle intègre parce qu'un but commun les justifie (le maintien de l'ordre, la paix, l'abondance, la sécurité pour rester dans le plus basique et universel ; même si pour Rousseau il s'agit d'accroître son niveau de vie, ce qui est encore très actuel). De ce fait, tout le but d'un gouvernement est de maintenir cet équilibre, sinon il s'expose inévitablement aux désordres et aux contestations.
Rousseau n'a pas tout à fait tort lorsqu'il affirme que la violence est vaine pour imposer l'autorité... Même s'il le fait en considérant l'usage de la force brimant illégitimement on-ne-sait-quelle "liberté naturelle", ce qui n'a bien évidemment aucun sens. C'est de l'idéalisme bête et naïf, une incapacité à faire face aux "duretés" de la vie et au caractère ontologiquement polémologique du politique et du social (même si comme l'a très bien montré Proudhon, le politique et le social sont autant animés d'un principe de confrontation que d'entraide).
C'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles on nous rabat toujours autant les oreilles avec le vieux Rousseau : ses théories sont gentillettes et rassurantes pour un homme européen toujours pas remis de la mort de Dieu, toujours hébété, effrayé, incertain, hésitant, perdu...
En ce qui concerne ses remarques sur les différents types de gouvernements, l'essai est déjà plus intéressant, même pour aujourd'hui. Il est fascinant cependant de remarquer à quel point Rousseau se laisse berner naïvement par la propagande monarchiste, et comme il croit bêtement que la monarchie est effectivement, à son époque, le règne d'un seul homme... Vraiment, je commence à croire que le vieux Jean-Jacques manquait de finesse d'esprit ! Là aussi, Proudhon a été bien plus lucide : monarchie ou démocratie, ce ne sont que des archétypes, car aucun régime ne peut être totalement monarchique ni totalement démocratique...
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le 5 févr. 2019
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