Télé-réalité avec une veuve épatante, une sorte d'éclaireuse SC en musique classique. Vie surprise.

Une sorte de Loft en page-turner... On suit une retraitée du matin au soir, de son lit à ses visites au cimetière et c'est excitant. Stewart O'Nan dévoile ô combien la vie quotidienne peut avoir du suspense.
Et c'est aussi un rappel de bien profiter de nos périodes sans problème, ces parenthèses agréables.

Voila quelques mois, je me passionnais pour la vie d'une mamie qui perdait la mémoire et dont personne ne voulait entendre que sa meilleure amie avait pourtant disparu. ( "L'Oubli/Elizabeth is missing" d' Emma Healey; un premier livre haletant et touchant "polar" adapté en film depuis).
Et maintenant je viens de passer mes soirées avec une autre grand-mère, mais en épatante meilleure forme contagieuse. Au point d'en retarder le plus possible mon moment d'atteindre la fin du livre.
Pourtant peu se passe, mais beaucoup nous vient en tête.
J'ai suivi la vie de cette veuve, ses souvenirs et son organisation au quotidien avec passion et émotion.
Comme une amie, je découvrais certains points de désaccord mais une fois que je l'aimais. Par exemple, quasi à la fin du film, je découvrais son côté Tatie Danielle et que je suis en grand désaccord politique avec elle. Je trouvais en fait surtout désespérant de ne pas pouvoir en parler avec elle pour de vrai. Elle était devenue réelle. (oui oui, je redécouvre ce que peut être un livre...)

J'ai aimé l'idée qu'on sache aussi ce qu'elle écoute à la radio, chez elle, en voiture...un livre presque en odorama aussi, car elle est une cultivée passionnée de fleurs et jardinage.
Je découvre que sa radio classique préférée existe vraiment: WQED à Pittsburgh.
Elle aime et écoute entre autres, Vivaldi, mais aussi Haendel('habituel le matin sur WQED'):

attelée à sa grille de mots croisés et tandis que "les geais et sittelles se bagarrent à la mangeoire"
Nous entendons aussi la musique le soir, où à la radio posée sur sa table de nuit, "Corelli ou Telemann galopaient mélodieusement à ses côtés."
Elle n'aime pas toute la musique classique. Elle a des goûts tranchés mais donne envie d'explorer, comme certains éclaireurs SC savent le faire:
_"Elle se déshabillait, enfilait sa robe de chambre et s'installait pour lire un peu, surprise du petit nombre de pages qu'elle avait parcourues...Mais la musique du soir de QED, trop emphatique , n'était qu'un enchaînement de longs enregistrements bruyants de morceaux rebattus dont elle pouvait facilement se passer jusqu'à la fin de ses jours, alors qu'un simple prélude et fugue de Buxtehude ou un hymne de Purcell lui auraient convenu parfaitement ; mais elle laissait la radio allumée en sourdine , chaque toussotement dans le public lui rappelant les nombreux concerts que Henry et elle avaient subis au Heinz Hall en tant que fidèles abonnés, écoutant les symphonies serpenter à travers la sempiternelle guimauve de Schumann, de Brahms et de Berlioz"...

Et justement quand cette Américaine par sa tempérance et sa force de caractère me faisait penser à une Lady Anglaise 'Stiff upper lip',
on la découvre un soir, lors d'un appel de son fils, écoutant "War Requiem" de justement l'anglais Benjamin Britten créé pour la reconstruction de la cathédrale de Coventry, détruite pendant des bombardements de la Seconde Guerre mondiale où les Anglais sont restés 'Stiff upper lip'.
Un détail amusant et personnel: Emily devine "à son ton que (son fils) avait bu de la bière"...

Dans sa playlist, elle me fait aussi découvrir "Histoire de la nativité" d'un "Schütz" que je croyais dessinateur des Snoopy et les Peanuts...
Celui-là, elle ne l'écoute pas au hasard à la radio, elle le met à son déjeuner (qu'elle "mangea dans le coin petit-déjeuner qui donnait sur le jardin"). J'aime ces maisons où il y a un endroit pour chaque moment de la journée.
Le soir, elle pouvait mettre la "Messe en si mineur de Bach" (",étaler le plaid sur ses épaules et s'enfoncer dans le fauteuil de Henry").

Et quand elle doit changer de voiture, elle s'en réjouit presque plus pour sa "chaîne hi-fi , avec sa douzaine de hauts-parleurs et un chargeur de six CD, bien meilleure que la stéréo à la maison. Au retour ...,elle traversa en douceur East Liberty, le Gloria de Byrd donnant aux immeubles ternes une gravité mélancolique."

Mine de rien, un livre qui donne envie de vivre et présente sans grandiloquence un exemple de grande dignité; même si elle est aidée et facilitée par l'aisance financière et la chance devenue rare d'une santé qui vous laisse tranquille ( Le plus grand des trésors et gain de loterie qui existe).

L'exergue du livre, qui prend tout son sens au fur et à mesure de notre espionnage de la vie d'Emily, dit tout ça bien sûr mieux que moi et surtout avec plus de classe et moins de fautes:
_"Se pouvait-il que, même pour les gens d'âge mûr, la vie soit ainsi - déconcertante, inattendue, inconnue?" (Virginia Woolf)