La voici donc la conversion de Huysmans et de son double romanesque Durtal, tant attendue par les lecteurs contemporains depuis qu’ils ont découvert l’auteur, se demandant comment celui qui se complaisait d’abord à pervertir une jeune âme dans un chapitre de son roman le plus célèbre, puis dans les crimes odieux d’un compagnon d’armes de Jeanne d’Arc, pouvait soudainement trouver la paix en retournant vers Dieu.
Ce roman est la suite du précédent de Huysmans, Là-Bas, bien que ce terme de « suite » puisse paraître quelque peu superficiel lorsqu’on note le peu de liens concrets entre les deux livres. Les personnages de Des Hermies et Carhaix, au premier plan dans Là-Bas, sont ici évacués en quelques mots : ils sont morts. Les égarements satanistes de Durtal sont évoqués, seulement, à trois reprises. Ce n’est donc pas dans les ressorts narratifs qu’il faut chercher les liens entre les deux livres, mais bien dans son approche de la religion. En Route est cependant bien moins complaisant avec le lecteur que son prédécesseur. En effet, ce dernier pouvait compter sur la fascination morbide inhérente à beaucoup de lecteurs comme solide allié. Quoi de plus intriguant qu’un tueur en série du XVe siècle, lié au satanisme, à l’alchimie et la pierre philosophale ? On pouvait même reprocher à Huysmans ses égarements dans des descriptions à la limite du supportable des meurtres ésotériques de Gilles de Rais. Ici, rien de tout cela, le livre est définitivement blanc.

Comme pour Là-Bas, lire ce livre avec un esprit encore jeune et modelé par le matérialisme et positivisme actuels, représente une expérience particulière et fascinante. Si l’on connait les noms de Thérèse d’Avila ou Saint Jean de la Croix, entre autres, parce qu’ils ornent encore certains collèges et lycées français, leur œuvre, elle, n’est pas forcément connue. Avec En Route, c’est la découverte de deux mondes, celui de la branche mystique du catholicisme, et celui des cloitres, adeptes de cette école. Et si ce monde séduit Durtal car le catholicisme clérical de la fin du XIXe siècle parait bien faible et hypocrite à Huysmans, que penserait-il de celui de ce début du XXIe siècle ? Quel choc également de découvrir le principe de suppléance mystique, qui est la raison d’existence des ordres monastiques, ces hommes ou femmes qui sacrifient leur existence terrestre, acceptent de souffrir doublement à la place des pêcheurs et ainsi purifier ce qu’ils considèrent comme l’horreur moderne ! On ne peut qu’admirer une telle dévotion pure pour une cause si noble. Evidemment, notre scepticisme face à tant de grandeur voudrait nous y faire voir le mal, les vices cachés dans les cloîtres, les déviances de la religion : serait-ce l’œuvre du diable ? On aimerait, nous aussi, tomber à genoux, mais il nous maintient debout.


La lecture, parfois aride, comme lorsqu’on suit pour une énième fois les pérégrinations intellectuelles de Durtal sur les différentes subtilités du plain-chant à travers les âges, à savoir si cette syllabe dans un des termes du Salve Regina doit être prononcé d’une telle manière, par une voix d’homme, de femme, d’enfant ou d’homme à la voix d’enfant, dans un latin classique ou italien, réserve surtout des moments de grâce, comme la nuit obscure que subit Durtal après sa communion ou son départ terrifiant de nostalgie de Notre-Dame de L’Âtre.


Le Huysmans qu’on a découvert et appris à aimer, agacé par son siècle et l'imbécillité de ses contemporains n’a cependant pas totalement disparu. Sa conversion ne lui a pas fait oublier sa misanthropie, comme le prouve ces belles lignes situées à la fin du roman : « il se vit, subissant les tracas des controverses, la lâcheté des condescendances, la vanité des affirmations, l’inanité des preuves. ». Il était, de toute évidence, destiné à une vie cloîtrée. Et n’oublions pas non plus que sa conversion commence par l’art. Ses directeurs de conscience, avant les abbés, sont les peintres primitifs flamands, les compositeurs de chants liturgiques et les architectes de cathédrales. Ce qui lui permet de nous donner encore, comme dans ses précédents livres, d’interminables listes d’œuvres à découvrir. Nous ne l’avons pas encore totalement perdu dans les méandres d’un catholicisme ascétique.

Jean-Maxime
7
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le 22 mars 2018

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