Avant toute chose, il convient de rappeler que Terry Jones fut en son temps membre de l'illustre troupe des Monty Python, ce qui en fait un des êtres humains les plus considérables du XXe siècle.
Ensuite, on rappellera que le monsieur a plus d'une corde à son arc, ayant écrit divers ouvrages dans des genres variés, supervisé une improbable série documentaire sur Les Croisades, et réalisé un certain nombre de films, dont, pour les Monty Python, l'indispensable Sacré Graal, le génialissime La Vie de Brian et le nécessaire Le Sens de la vie, mais aussi, au-delà, un film certes moins marquant (et plus fauché encore, peut-être) du nom d'Erik le Viking, avec Tim Robbins dans le rôle titre.
Mais précisons que le livre qui nous intéresse (fort joli : relié, agréablement illustré en couleurs par Boulet), antérieur au film, n'a pas grand chose à voir avec ce dernier, au-delà de son titre et de deux ou trois scènes traitées de manière bien différente, sur un ton tout autre. Il en est presque à l'opposé, à vrai dire... Exit, ici, l'humour absurde ; pas de discussions frustrées sur la nécessité du viol et du pillage, pas de lignée de fous de guerre, pas de discrimination entre Vikings barbus et moustachus, pas de John Cleese sanguinaire mais poli, pas d'habitants d'Hy-Brazil hospitaliers mais lamentables musiciens, etc.
L'humour ne manque pas, certes, mais il est bien différent, très léger, consistant essentiellement en clins d'œil, codes et stéréotypes : avec son livre Erik le Viking, Terry Jones rend hommage, avec érudition et astuce, et un certain sérieux qui ne l'est pas totalement, aux sagas nordiques pleines de bruit et de fureur.
Le point de départ est proche de celui du film : il s'agit bien, pour le Viking Erik, de s'embarquer avec ses hommes pour une longue odyssée maritime vers l'Occident. Mais là où le pacifiste Tim Robbins entend bien réveiller les dieux pour mettre fin au Ragnarök et revoir enfin le soleil, le héros de cette saga, plus âgé, plus héroïque et en tout point « plus Viking », entend simplement, pour la gloire et pour l'honneur, aborder au pays où se couche le soleil le soir venu. C'est ainsi qu'il s'embarque sur le Dragon doré avec ses fiers camarades Ragnar Barbe-Fourchue, Sven le Fort, Thorkild, etc., pour un extraordinaire périple riche en dangers et merveilles.
Le roman, très bref (mais alors vraiment très : environ 160 pages en comptant les illustrations pleine-page de Boulet et les sauts entre les chapitres), est alors découpé en très courts chapitres détaillant un épisode précis, à la manière d'un conte ou d'une fable que l'on pourrait à peu de choses près lire indépendamment.
C'est ainsi que nous verrons Erik et ses compagnons faire face à l'Enchanteresse du Fjord, triompher du Dragon avec un édredon (cette scène, reprise dans le film, est à peu de choses près la seule où l'on retrouve le nonsense des Monty Python), affronter les cruels chantages du Vieil Homme de la Mer, escalader la Montagne du Loup, arpenter la Vallée qui Parle, passer par-dessus le Gouffre du Bord du Monde, etc. Ah, et il va de soi que la Mort y joue aux échecs.
Chacun de ces épisodes est conçu avec minutie et inventivité, et fait preuve tant d'imagination que d'érudition et d'à-propos. Ces petits contes imprégnés de merveilleux, infestés de créatures féeriques et d'objets magiques, se lisent généralement avec plaisir, d'autant que leur style également use et abuse des codes de la littérature médiévale : les répétitions abondent volontairement, dans l'ordonnancement des séquences comme dans leur présentation, le ton est perpétuellement grandiloquent et outrancier, et, inévitablement ou presque, l'épisode de la saga débouche sur une petite morale, le plus souvent sympathique et astucieuse, parfois amusante.
Tout cela n'en fait certainement pas un livre indispensable, mais bien une petite friandise appréciable, que l'on parcourt avec plaisir. Ni plus, ni moins.