Budapest 1944. Le narrateur, juif, 15 ans, se fait arrêté et déporté à Auschwitz et à Buchenwald. Il raconte son histoire dans les camps, en suivant pas à pas, tel un enquêteur, le parcours de son étoile jaune et l'évolution de sa condition de juif, hors de son propre corps.

A première vue, ce livre est un récit sur les camps de concentration. Ok. On s'attend à ce que ça parle de Führer, d'enfer, d'horreur, d'extermination, de juifs et j'en passe. Qu'est-ce qui fait sa différence ? Un journaliste appellerait ça "l'angle".

La (magnifique) façon d'écrire d'Imre Kertész n'est bien sûr pas celle d'un enfant de 15 ans, mais le regard porté sur la situation l'est ! Longtemps après, l'auteur a réussi à retranscrire la façon dont il a vu et vécu les camps (oui, récit largement autobiographique). Et à travers le regard de cet enfant, on découvre les camps d'une toute autre manière. Buchenwald est pour lui un magnifique endroit où il a vécu, certes des difficultés, mais des moments de vie, et non pas des heures à attendre la mort.

Cette façon de décrire sa vie est encore plus perturbante, plus choquante, que quelqu'un qui aurait décrit l'horreur comme était de l'horreur pure. Ce détachement met en valeur, non pas la naïveté de l'enfant face à la situation, mais bel et bien une maturité immense, qui lui fait croire que, de toute façon, il est condamné à vivre ça, que c'est son destin, et que ma foi, une vie en vaut une autre. C'est trop difficile à expliquer, je n'ai pas les mots pour le dire, mais Kertész les a lui, alors voilà un petit passage qui vous fera comprendre, il se trouve presque à la fin du livre (sans spoiler) et le garçon est alors transféré en-dehors de Buchenwald.

"Ça et là, des fumées suspectes se mêlaient aux vapeurs amicales, [...] et mon regard fureteur tomba sur le cortège des porteurs avec les barres sur les épaules, ils croulaient sous le poids des chaudrons fumants suspendus à ces barres et, à son odeur aigre, je reconnus de loin, pas de doute, la soupe de rave. [...] Et malgré la réflexion, la raison, le discernement, le bon sens, je ne pouvais pas méconnaître la voix d'une espèce de désir sourd, qui s'était faufilée en moi, comme honteuse d'être si insensée, et pourtant de plus en plus obstinée : je voudrais vivre encore un peu dans ce beau camp de concentration."
Adora63
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le 29 sept. 2011

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