Ce qui frappe assez rapidement à la lecture de François Truffaut, c'est la virulence de l'auteur, plutôt étonnante pour un ouvrage d’initiation à la filmographie d'un réalisateur. Ainsi, il n'hésite pas à parler du "public imbécile de Cannes" dans un paragraphe consacré à La peau douce. Petit à petit, mais de plus en plus clairement, s'esquisse alors la démarche de Cyril Neyrat, qui divise les films de Truffaut en deux catégories : les films à succès, légers, bourgeois, qui révèlent bien entendu le mauvais penchant du cinéaste. Et ceux boudés par le public, voire par la critique, qui constituent forcément les véritables réussites du réalisateur.



C'est toute l’ambiguïté du passéisme antimoderne de Truffaut,
qui oscillera jusqu'à la fin entre les audaces d'un retour aux
origines et le confort d'un petit commerce artisanal et consensuel.
Évidemment, le public préférera toujours la seconde voie.



Pour résumer, si vous n'aimez pas Les deux Anglaises, vous êtes un con, et si vous aimez Le dernier métro, vous êtes un con. C'est tout juste si des films tels que La nuit américaine ne sont pas ravalés au même niveau que Les sous-doués en vacances.


Le cas de La femme d'à côté est à part, puisque relevant des deux catégories à la fois, avec tout de même un fort penchant du côté obscur. Je précise que cette interprétation manichéenne va carrément à l'encontre de ce qu'a toujours défendu Truffaut critique et réalisateur, à savoir un cinéma populaire. Ça n'est pas pour rien qu'il a conçu un fort célèbre livre dont le but avoué était de réhabiliter Hitchcock aux yeux du monde entier. De plus, le cinéma de Truffaut, comme tout œuvre d'auteur, constitue un tout.


Bon, puisque le public est con, le lecteur du livre de Cyril Neyrat doit l'être aussi un peu. On lui assène donc, pour l'instruire, l'analyse quelque peu basique d'une séquence des Deux anglaises (on aura vite compris que c'est le film préféré de l'auteur), comme si ledit lecteur/spectateur n'était pas capable de comprendre tout seul, à la vision du film, le symbole de la rechute de Muriel qui tombe deux fois sur le parquet, ou l'aspect orgasmique de son délire fiévreux - ce qui n'est pas, que Cyril Neyrat me pardonne, d'une grande nouveauté, Le Bernin étant passé par là quelques siècles avant Truffaut.


Du côté de la biographie, l'auteur, s'il liste les aventures amoureuses de François Truffaut avec ses actrices, ce qui se justifie pleinement, oublie en revanche bizarrement de mentionner l'épisode Claude Jade, avec qui Truffaut se fiança et qu'il planta allègrement le jour du mariage. Une anecdote pourtant loin d'être anodine dans le parcours personnel du réalisateur, pour qui la vie de couple posait un dilemme énorme, et qui a fait de l'amour impossible, trahi, tragique, maladif, obsessionnel, un motif plus que récurrent dans son œuvre. Mais voilà, la question n'est pas développée dans le présent ouvrage, si ce n'est via le résumé des intrigues des films, pas plus que l'aspect tout de même extrêmement sombre de l'univers de Truffaut. On préfère nous ressasser sans cesse que François Truffaut a toujours alterné films légers et plus sérieux.


L'ouvrage se conclue pratiquement sur l'affirmation que Truffaut n'est pas un grand cinéaste, et surtout pas un poète. Qu'on le pense et qu'on argumente en ce sens, pas de souci : loin de moi l'idée de voir en Truffaut un cinéaste parfait. Mais voilà tout de même une drôle de façon d'inviter le lecteur à aborder sa filmographie. D'autant qu'il me semble que la collection dans laquelle est publié notre ouvrage n'a pas pour objectif de développer ce genre de thèse, mais de se limiter à faire découvrir le travail d'un réalisateur. Donc, question que je pose régulièrement : que fait l'éditeur, dans cette toute histoire ? S'agissant, pour partie, des Cahiers du cinéma (pour qui Cyril Neyrat travaille comme critique) l'éditeur se fiche ici complètement du parti-pris de l'auteur, qui tourne assez rapidement au ridicule, et laisse faire.


Voilà bien un livre d'un snobisme assez insupportable, qui ne présente que peu d'intérêt, étant donné son peu d'objectivité, pour la compréhension du cinéma de Truffaut.

Cthulie-la-Mignonne
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Créée

le 9 janv. 2016

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