La chronique littéraire sur les radios de l'Arc jurassien
On connaissait Anna Politkovskaïa, journaliste russe assassinée dans sa cage d'escalier. Place à Julia Latynina.
Critique du régime Poutine, journaliste presse, radio et télé, elle est l'auteur de 26 romans publiés. En français il n'y en a que trois, dont «Gangrène», qui fait partie de sa trilogie du Caucase.
Gangrène nous plonge dans l'enquête de la mort du 1er commis du Kremlin, qui a sauté sur une bombe à la fin de Caucase Circus, en Avarie-Dargo-Nord.Cette fois, on découvre la ville de Bechtoï et ses deux personnages principaux, deux frères.
Zaour, maire de la ville et propriétaire de l'usine de barres chocolatées et de meubles bon marché.
Et Djamaluddin, pilier central de ce 2e tome, sauvage comme un loup et leste comme un lynx. Djamaluddin a fait toutes les guerres de la région. En quelques années, il a monté une véritable armée pour défendre la frontière avare de la Tchétchénie et ses terroristes boïéviks.
Jusqu'à l'explosion de la maternité de Bechtoï. Ce jour-là, il promet à Allah qu'il retrouvera tous les hommes impliqués dans le massacre et leur fera payer le sang versé. Il s'enfonce encore plus dans ses croyances et se sent investi d'une mission divine pour faire régner l'ordre sur la ville. Si Allah interdit aux hommes de boire, c'est parce que les caucasiens ont le sang trop chaud, et que la moindre insulte est réglée par un coup de kalachnikov. Ça n'empêche pas les Avars et les Tchétchènes de se tirer dessus à la moindre provocation.
Autour de l'histoire de Djamaluddin, Latynina monte un polar géopolitique extrêmement complexe et riche. Riche d'abord de personnes, dont il faut retenir les noms inhabituels, et dont elle prend plaisir à nous expliquer les parcours. Riche ensuite de la relation entre la petite République et le géant russe, avec lequel tout s'achète, même la place de Président de la République.
Dans un monde corrompu jusqu'à l'os, Djamaluddin, que l'argent n'intéresse pas, fait office de justicier aux yeux de la population. Un justicier qui torture et tue, mais ne touchera jamais une femme. Un justicier qui fait fermer les casinos et les bordels parce que c'est contraire au Coran. Un justicier rongé par la mort de tous ces bébés de la maternité qu'il n'a pu sauver.
A travers l'incroyable beauté d'une région rongée par le mal, Gangrène s'enfonce encore plus profondément dans les enjeux politiques du Caucase. Latynina dénonce avec beaucoup de cynisme l'oppression russe sur un peuple qui ne rêve que de liberté.
Sur plus de 500 pages à lire sans pause, Gangrène établit son auteur comme une romancière de grande importance. Une journaliste qui n'a pas peur du pouvoir et utilise la fiction pour nous immerger au cœur du dysfonctionnement fédéral.
Passionnant, dévorant, Gangrène ouvre le bal à un 3e tome plus qu'attendu !