George Lucas
8.2
George Lucas

livre de Brian Jay Jones (2016)

Une biographie exemplaire pour une carrière qui ne l’est pas moins

Steven Spielberg : « Tu as fait plus pour la conscience collective de cette planète que tu ne peux l’imaginer »


Sorti aux États-Unis en 2016, George Lucas, une vie, suit le parcours du créateur de Star Wars (« Ce sera mon épitaphe », dit-il, comme résigné), de son enfance à Modesto, petite ville californienne au milieu de nulle part dont il aura vaguement honte, jusqu’à sa retraite, après avoir vendu son bébé intergalactique à Disney en 2012. C’est pourquoi je parlerai de sa carrière de cinéaste au passé, qu’on se rassure l’homme va bien. Sa carrière, on la connaît déjà, si l’on s’intéresse depuis quelque temps à ce qu’on appelait autrefois « La Guerre des étoiles ». Vous pensez donc si bien connaître le parcours de George Lucas que vous vous dispenserez volontiers de ce livre ? Alors à vos plumes, à vos cahiers, petits malins, écrivez, je ramasse dans quatre heures. Tic, tac, tic, tac… Résultat des courses ? Une page, deux pages, une copie double ?... Peut mieux faire ! En effet, puisque Jones nous emmène dans la galaxie Lucas pendant 460 pages bien serrées, où tout est dûment détaillé, documenté et référencé, comme dans toute biographie qui se respecte, passionnée et objective à la fois. En trois grandes parties bien nommées, « Espoir », « Empire » et « Retour », avec force anecdotes, le biographe passe en revue le parcours hors-norme de ce gringalet timide devenu milliardaire à la tête d’entreprises florissantes.


Adolescent ayant des rapports tendus avec son père, Lucas s’est construit sur ses passions, pour les bolides (celle-ci faillit lui coûter la vie), pour la science-fiction (les serials à la Flash Gordon), et pour le cinéma, ce qui le conduisit sur les bancs de l’USC. Dans cette école de cinéma, il fera ses armes dans le court métrage et se liera d’une longue amitié avec l’autoproclamée « mafia de l’USC », en particulier John Milius (Conan le barbare), et avant tout Francis Ford Coppola (Le Parrain, Apocalypse Now), figure de grand frère à la personnalité très différente de celle de Lucas. Des passionnés qui vivaient déjà par et pour le cinéma, et qui n’en faisaient qu’à leur tête, les façons d’opérer des dinosaures des studios leur paraissant d’un autre âge. N’oublions pas Spielberg, bien sûr, l’ami, l’inspirateur, le concurrent, mais celui-ci apparaîtra plus tard dans la vie de Lucas, pour ne plus jamais en sortir, ne serait-ce que pour les Indiana Jones.


En toute logique, cet ouvrage bio fait état de la genèse des premiers courts métrages de Lucas, très remarqués, dont THX 1138, qui deviendra le film que l’on connait, puis American Graffiti et bien sûr le premier Star Wars – plus tard sous-titré Un nouvel espoir – ainsi que toutes ses suites. Des genèses tourmentées à chaque fois, entre problèmes logistiques, soucis budgétaires et scepticisme des studios. À la lecture des 1001 tracasseries et tourments quotidiens liés à l’élaboration de ses films, on comprend la farouche volonté d’indépendance de Lucas, sa détestation du système hollywoodien, dont il a toujours voulu rester à l’écart. Le fameux Skywalker Ranch est né de là, et Lucas finira par pouvoir financer ses films de sa poche, engageant sa fortune personnelle à chaque fois… et remportant la mise à chaque fois aussi. Mais pour Lucas, qui réinvestissait tous ses bénéfices dans les projets suivants, l’argent n’était pas une fin en soi. Toujours habillé en jeans baskets chemise à carreaux à vingt ans comme à soixante, il considérait que la vraie richesse, le vrai pouvoir, c’était le contrôle, une véritable obsession chez lui.


De ce livre, il ressort le portrait d’un homme attachant et d’un cinéaste passionnant, la vie du second l’emportant souvent sur le premier, trop souvent au goût de sa première épouse Marcia, monteuse de renom qui travailla entre autres avec Martin Scorsese, par exemple sur Taxi Driver. Le montage, grande passion de Lucas, qui construisait réellement ses films dans la salle de montage, d’où son intérêt affiché pour la technologie numérique, dont il fut un des pionniers, avec Cameron (Abyss) et Spielberg (Jurassic Park). En revanche, la direction d’acteurs n’a jamais été son fort, ce dont finirent par s’amuser les Ford, Hammil et Fisher, à mesure qu’ils s’habituaient à ses conseils, pour le moins laconiques : « Plus vite, plus intense », « La même, mais en mieux ». Quant à l’écriture de scénarios, c’était pour lui un vrai calvaire – « Quand je m’installe [pour écrire], je saigne sur la page, c’est tout bonnement horrible » –, auquel il s’astreignait cependant, toujours désireux d’avoir le contrôle.


Sérieux sur la forme comme sur le fond, George Lucas, une vie sait rester à distance raisonnable de son sujet. Jones ne donne pas dans la pseudo-analyse fumeuse, il n’étale pas inutilement l’intimité de Lucas, nous distillant juste les informations nécessaires pour comprendre comment les soucis personnels de cet homme discret pouvaient peser sur son travail de réalisateur, qui lui siphonnait déjà toute son énergie. Écrit dans un style simple, dans l’ensemble assez neutre mais parfois imagé, voire drôle (mention spéciale à la coupe de cheveu « style Pompadour » de Lucas vieillissant), le travail de Jones ne vire jamais à l’hagiographie. Notre bonhomme a ses défauts, et le biographe n’en fait pas mystère. Si, preuves à l’appui, Lucas est présenté comme un cinéaste visionnaire, un businessman avisé, un chef d’entreprise bienveillant, un ami fidèle et un père aimant, il a aussi ses petits côtés obscurs : rancunier, têtu, écoutant peu les conseils, réservé, voire distant dans ses rapports à autrui. Lui qui adorait le genre documentaire, faire un film sans acteurs ne lui aurait pas déplu. Cette biographie est donc un ouvrage de référence que devrait lire tout amoureux du Septième art, car que l’on aime ou pas ses films, Lucas fait partie intégrante de l’histoire du cinéma, dont il a écrit un pan entier au cours des cinquante dernières années. On recommande aussi cet ouvrage aux innombrables fans du réalisateur, qui trouveront bien leur lot d’anecdotes inédites, oubliées, ou remises en perspective.


Une autre catégorie devrait également lire cette biographie, ce sont les misérables « haters » qui ont vomi sur le créateur de leur saga favorite, dénigrant ses choix artistiques – notamment pour la prélogie – tout en caressant le fantasme de s’approprier une œuvre qu’ils n’avaient en rien contribué à créer. Alors que ces sous-plumitifs sont tout juste bons à répandre leur fiel sur les blogs et les réseaux, ils voudraient faire de Star Wars leur propre chose, (re)façonner cet univers à l’aune de leur représentations étriquées. Qu’ils assouvissent donc ce désir mal placé en s’usant les pouces sur leurs consoles, en jouant avec quelques figurines vintage, ou en ouvrant quelques boites de Légo, saine occupation s’il en est. Qu’ils commencent ne serait-ce qu’à essayer de créer quelque chose, peut-être prendraient-ils alors vaguement conscience de l’ampleur de la tâche. La critique est aisée, mais l’art est difficile, un cliché qui est cependant une vérité bonne à rappeler en la circonstance. Entre d’une part, les efforts solitaires de Lucas qui s’est battu envers et contre tout pendant des années pour imposer sa vision de cinéaste, construire son empire, préserver son indépendance, et donc son intégrité, et d’autre part, l’outrecuidance de ces trolls n’hésitant pas à tout répudier et détruire sur la toile, il y a un abysse incommensurable : d’un côté, le talent, le travail, la vision, la persévérance ; de l’autre… le vide. L’histoire oubliera vite les pets de mouche de ces parasites en mal de rêve et de création, pour ne retenir que le parcours exceptionnel de ce cinéaste dont l’étoile – les étoiles ! – brillera pendant très, très longtemps au firmament de la galaxie cinéma. Belle pierre apportée à l’hommage dû à Lucas, le livre de Brian Jay Jones est là pour en témoigner.

Mister_Lag
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le 15 févr. 2019

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