Tirez sur l'ambulance, elle l'a cherché
Il était une fois un jeune homme qui s'ennuyait. Comme il était loin de chez lui, il n'avait pas de livres à portée de main, et n'avait guère le choix qu'entre des bouquins apportés par sa charmante mais jeune soeur, un jeu de carte installé sur son pc portable, et des vieux journaux. Evidemment, il pouvait aussi se mettre à cet urgent et complexe devoir de sémantique à rendre pour dans trois jours sans faute, ou sortir et rencontrer des gens sans doute sympas et pleins d'intérêts, se confrontant ainsi aux merveilles du monde extérieur...
...
Il entama donc, sans surprise, la lecture d'Hunger Games. Mal lui en prit.
Tout d'abord, je ( le type dont on parlait avant, c'était moi, hein, j'espère pour votre habilité à ne pas filer de coups de boule à votre clavier que vous l'aviez compris ) tiens à préciser que je ne partais pas dans une lecture à charge de l'ouvrage. A vrai dire, je me mettais plutôt dans la peau du petit malin qui va aller à l'encontre des clichés communément admis et refermer le livre d'un air docte en disant : " ben, c'est pas si mauvais que ça ". Après lecture, j'ai même été sur le wikia consacré pour vérifier que je n'avais rien raté ( !!! ). Il serait mesquin aux fans de m'envoyer des lettres piégées après ça.
On commence doucement, on jauge le style de l'auteur. Il n'est pas trop mal. Rien à dire. Mais rien de positif à dire non plus, attention. Le genre qui vous fait dire " je pourrais écrire mieux que ça " jusqu'à ce qu'on se retrouve pour de vrai devant sa machine à écrire. Enfin bref, un peu plat, pas de génie dans la formulation, mais on est loin de Twilight ( les yeux m'en fondent encore ).
Après, on fait connaissance avec les personnages. Et paf le mur. Katniss, l'héroïne de quelqu'un, est un exemple très mal appliqué de la fille gentille générique. Je suppose que l'auteur la voulait complexe, un mélange de bon fond et de cynisme. L'intention se voit encore de temps en temps, mais le résultat est un phénomène assez rare de caractère issu du néant. Un deus ex machina sur patte. Elle est gentille, mais comme ça, sans raison ni justification, et, problème, elle est calculatrice exactement de la même façon. Il faut du coup admettre qu'une nature naturellement généreuse et ouverte cohabite chez elle avec un esprit manipulateur et méprisant. Deux solutions : soit Katniss est schizophrène, soit elle n'est qu'une coquille vide dépendant entièrement de l'image ambiguë que l'auteur veut en donner, mais sans réelle construction du personnage au-delà. En témoigne son très faible investissement dans la narration, pourtant au point de vue interne. Elle a quelques impressions, des ressentis, mais surtout des souvenirs factuels et des idées qu'elle se fait un plaisir de raconter au lecteur. Autant essayer de s'attacher à un plan powerpoint où à une caméra.
Pour les autres personnages, c'est un peu l'inverse. L'auteure a dû estimer que Katniss remplissait déjà largement la demande en subtilité et profondeur. Résultat, tout les autres sont des clichés vivants. La mignonne petite soeur, la mignonne petite soeur par intérim, l'ivrogne blasé, l'excentrique futile, les méchants méchants, le faux petit copain qui agit n'importe comment pour dissimuler son absence de personnalité, le vrai petit copain qui est mr Planche-de-bois,les gens du Capitole qui sont tous des bouffons grotesques et sanguinaires, les gentils du pays des méchants ( je devrais me dissoudre les mains dans l'acide pour avoir écrit un truc aussi bête, mais c'est tout à fait ça ) qui sont par contre complètement purs et sans tâches sans la moindre raison... Je continuerai bien, mais non.
Et nous arrivons à ce que nous redoutions tous... le contexte.
Ne faisons pas durer le suspens : c'est très mal torché, tout ça. Le Capitole qui est apparemment au top en matière de science dès qu'il s'agit de jeux télévisés, est apparemment dramatiquement incapable de faire quoi que ce soit sans les districts esclaves qui l'entoure. Ça doit être pour ça qu'il les presse comme des citrons et sacrifie leurs gamins. Histoire de les mettre en joie lorsqu'ils travaillent. Je vais y revenir, mais avant... je tiens à faire remarquer que cette histoire de district ayant chacun un domaine d'exploitation précis, c'est débile. C'est à dire, autant je veux bien un secteur exclusivement dédié à l'agriculture, même s'il devrait en toute logique faire cinq fois la taille des autres, mais le district appliqué aux travaux miniers ? Leur territoire est la seule immense chaîne de montagnes du pays ? Il n'y a pas d'autres endroit qui nécessiteraient une intervention de ce type ? Et ce district ne doit être que de la montagne, ou alors on supposent qu'un tiers de la population se tourne les pouces. Comment vivent ils, dans ce cas ? Pareil pour la pêche, l'élevage, ect... Mais le mieux, c'est sans doute le fait que les miliciens au service du régime sont sélectionnés parmi lesdits districts, certes les moins miséreux, mais tout de même soumis aux travaux forcés et aux tributs de leurs gamins. Ça revient un peu à donner un flingue aux moins mal fringués des clodos d'un quartier chic en leur demandant de veiller à ce qu'il n'y ait aucun vol. En prenant en compte que les clodos ont été ruinés par les habitants du quartier riche. Vous m'objecterez que le Capitole, aux capacités variables donc, peut anéantir leur district si besoin est, comme c'est le cas du district 13. Et se priver du coup d'une ressource vitale quelconque. Viande, blé, matériau de construction ? Faites votre choix.
Et je ne reviendrai pas sur la difficulté qu'il y a dû avoir à séparer aléatoirement les êtres humains en deux classes aussi opposées que "damnés de la terre" et "gros parasites inutiles". Dans notre monde, on a au moins la décence d'avoir un peu de tout dans chaque pays. Là non. Et apparemment, personne ne s'est dit que pour éviter d'atomiser la tronche à tout le monde et/où être massacré lors d'une émeute de la faim, on pouvait, je sais pas, utiliser la technologie biologique qui crée ex nihilo des terrains forestiers pour nourrir tout le monde ? Favoriser l'éducation et du même coup le rendement un peu partout ? Annuler ce concept absurde de district pour planter, creuser ou pêcher là où c'est possible ? Ce n'est pas comme si on risquait la surpopulation ou un appauvrissement des classes supérieures, au début du bouquin, on a l'impression que le district 12 ne doit pas être plus peuplé qu'une sous préfecture quelconque. Mais non,tout ça serait trop gentil, et nous parlons des méchants, rappelez-vous. Ce qui font méchamment des méchants trucs.
Du coup, ils ont crée le Hunger Games, concept qui, je le rappelle, est supposé tenir la population dans l'espoir d'atteindre un niveau de vie plus élevé. Manque de pot, ça, c'est le prétexte officieux. Les discours officiels semblent plutôt insister sur l'aspect "prenez ça, connards de pauvres exploités ! De la part des riches sans armée qui ne seraient rien sans vous !" Je ne sais pas qui gère la communication de ce pays, mais j'espère qu'il s'est fait virer.
Mais malgré tout ( oui, tout ), la présentation de ce monceau d'âneries, correspondant à la phase pré-jeu, est la partie la plus solide du bouquin. L'auteur y décrit le Capitole avec une conviction qui fait qu'on aurait presque envie d'oublier toutes les objections précédentes, on se laisse bercer par le style ronronnant, on sourit à la parodie des médias de télé-réalité, on tique à peine devant le fait que Katniss devienne incroyablement populaire sans la moindre raison. Si Peetah le faire-valoir voulait bien la fermer deux minutes sur ses soit-disant sentiments pour notre insipide premier rôle, tout serait parfait. Mais ce n'est que le calme avant la tempête, car voilà qu'arrive... Les jeux eux-même.
Je suis un grand fan du concept "gens sans formation ni mauvaises intentions forcés de s'affronter dans un espace clos pour survivre". De Sa majesté des Mouches à Marche ou crève, en passant par ce bon vieux n'importe quoi de Battle Royal, je pense que c'est un excellent départ pour parler des relations humaines, du comportement des gens en temps de crises, de la noirceur ou de la lumière tapie en l'âme des hommes... Suzann Collins, elle, s'en torche le postérieur, mais d'une force... Vous voyez le problème ? Elle ne montre aucun intérêt envers ce qui est censé être le point d'orgue, voir la raison d'être de son bouquin. Relations humaines ? Oubliez. L'immense majorité des concurrents ne nous est pas connue et meurt hors champ, et les autres sont engoncés dans leurs rôles prédéterminés de copains de Katniss, de grosses brutes privilégiées sans cervelles, ou juste de deus ex machina ( oui, rousse et copain de Rue, c'est vous que je regarde ). Dilemmes moraux, révélation de soi ? Nop. Pendant que la majorité des gens s'entretuent dans ce qui est ouvertement un piège, Katniss et son pote, qui sont apparemment les seuls à qui on a signalé l'évidence ( je ne commenterai même pas ) s'enfuient et Katniss tombe malade et délire dans son vomi pendant que les choses intéressantes se passent ailleurs. Je vous jure que c'est vrai. Les survivants mourront tous de façons bien pratiques, quand expliquées, de sorte que la personnage principal n'ait à dégommer que les plus infâmes crapules, et encore, en étant aidé par le terrain, dont la dangerosité détruit ce qui pouvait rester du côté arène. Quand à une éventuelle confrontation un peu profonde face aux adversaires et à soi-même, ce sera pas pour aujourd'hui. Katniss évite soigneusement tout ce qui pourrait être important ou révéler la dureté du jeu. Elle passera même un moment à roucouler avec l'affreux peetah le patissier caméléon ( mieux vaut lire ça que d'être aveugle. Et si non, c'est trop tard ).
Tout est fait pour que l'auteure n'ait pas à parler de quelque chose d'aussi moche que des ados forcés à s'entretuer. Taille gigantesque du terrain, nature hostile, héroïne déconnectée des évènements... A la place, on a Katniss contre les méchants ( toujours eux ) pendant cent pages. Et je pense que je comprend les intentions premières de Suzanne Collins. Elle,elle voulait faire une super histoire pour ados, avec un peu de politique, de l'aventure, de la dénonciation sociale, mais dans un cadre glamour ( quel gamine de 14 ans se passionnerait pour une romance de pauvre ? ), un peu d'amour, un peu de psychologie, et pour donner un cachet grave et sérieux, ces fameux Hunger Games, présentant toute la cruauté de l'univers élaboré par l'auteure... Cruauté qu'elle se refuse à assumer. D'où une narration pudiquement tournée vers l'arbre là-bas pendant que des enfants se font couper en deux juste à côté, et un happy end inexplicable et convenu à la fois.
Le pire est que si l'auteur avait reconnu cette défaillance de son style, on pourrait avoir un assez correct roman d'aventure pour ado. Si Katniss s'achetait une vraie personnalité et qu'on revoyait le background de l'univers, ce serait tout à fait honnête. Manque de pot, l'auteure n'a pas voulu abandonner sa bonne idée de base, et s'est lancé dans une histoire dont elle ne maîtrise pas du tout les enjeux.
Evidemment, les futurs lecteurs de cette critique en 2156 riront peut être de mon imprévoyance, lorsque Paris forcera des jeunes Bretons, Normands et Auvergnats à s'affronter à coup de cuisse de grenouilles pour le plaisir des foules hilares. Mais ce ne sera plus mes oignons, et j'aurai occupé mon après midi, donc tout est bien qui finit bien.