Pour la première fois, la pensée grecque se dévoile à nos yeux. Pour la première fois, elle s'immortalise par l'écrit. Il y a une légende tenace, chantée par tous les aèdes depuis les âges sombres et oubliés. La Guerre de Troie. Épopée trop vaste, trop ambitieuse. La flamme du poète ne peut briller d'une intensité égale tout au long de ces épisodes épars. Homère ne tente donc pas d'assembler. Il choisit un épisode. Il n'a que l'embarras du choix ! Tant de héros, tant de cris poussés, tant de sang versé. Il choisit pourtant un cri de désespoir. Celui d'Achille. Ayant choisi une vie courte mais chantée pour l'Éternité, Achille regrette, dépose les armes. A quoi bon se battre ? A quoi bon mourir si l'on peut disposer de lui comme d'un simple laquais ? Agamemnon lui enlève Briséis, la femme qu'il aime. Il le traite comme un chien. Les rumeurs de gloire éternelle ne sont que du vent. Achille va mourir, oublié de tous et méprisé. Il se retire alors, se lamente si fort que sa tristesse ébranle les cieux et semble pouvoir changer, un court moment, le Destin qui dépasse même les dieux.
Achille préfigure l'Homme libre. Celui qui, averti de son destin, ayant choisi en connaissance de cause, décide de le renier. Parce qu'un horrible chagrin, une colère plus forte que l'Olympe lui ébranle le coeur. Ses frères en payent le prix fort, meurent en masse à quelques pas de sa tente. Son cousin, enfin s'effondre. Qu'a-t-il fait ? Renier son Destin, est-ce là la véritable liberté ? Ou faut-il plutôt chercher l'apaisement, l'acceptation de la mort et de son devoir ? Commence alors le chemin d'Achille vers l'harmonie, la conciliation de l'aède et du guerrier en lui. Du dieu et de l'Homme.
L'Iliade, comme elle nous est offerte, n'est pas toujours aisée. Les combats, magnifiquement décrits, finissent par submerger le lecteur. Pléthore de détails se perdent dans la masse des répétitions, l'histoire semble parfois bloquée, figée dans son écriture. Mais la colère d'Achille ranime le poème quand on finit par le croire moribond. Et ça change tout. Le héros nous poursuit bien après le terme de la lecture. Nous le quittons magnifique, plus humain que jamais. Nous ne le verrons jamais mourir.