Deux personnages dans ce huis clos : celui qui pose les questions et celui qui y répond. Le premier est magistrat, le second un ancien révolutionnaire, à la retraite maintenant. Le premier veut savoir ce qui s'est passé sur ce sentier escarpé des Dolomites où un homme est mort. Le second le sait puisque c'est lui qui a appelé les secours. Il a sa version des faits. La montagne est un espace dangereux. Il avait repéré ce randonneur qui marchait devant lui. On aime être seul en montagne. On va même en montagne POUR être seul. Et ce gars devant lui avait accéléré et puis soudain plus personne. Une perte d'équilibre, certainement… Le magistrat n'est pas de cet avis. C'est bien pour ça que la scène a lieu en prison et que le second est en garde à vue. Parce que cet homme qui est mort n'était pas un inconnu pour celui qui marchait derrière. Non, c'était même un ancien camarade de combat qui avait livré ses pairs à la police. Alors, était-ce un pur hasard si le second s'était retrouvé à marcher derrière lui dans ce lieu perdu ? Ne le suivait-il pas en réalité ? N'avait-il pas programmé son assassinat, sa vengeance (un plat qui se mange froid) ? Bref, était-ce un meurtre ?
Ce roman en forme de dialogue entre deux hommes que tout oppose : l'âge, la profession, une certaine vision de la justice, de l'État, le sens de l'engagement, de la liberté et de l'amitié, propose une réflexion passionnante sur ce qui fait que, dans l'existence, on choisit de devenir magistrat au service de l'État ou révolutionnaire d'extrême gauche. Deux hommes confrontent leurs conceptions du monde, leurs philosophies de la vie. Bien sûr, quand on connaît un peu l'engagement d'Erri de Luca dans des luttes collectives notamment au sein du mouvement Lotta Continua, on sent que l'accusé lui ressemble beaucoup et qu'il met dans les propos de son personnage tout ce qui fonde le sens même de son existence. Il y a du Camus dans cet échange, peut-être aussi du Platon et de sa maïeutique : l'homme de la montagne, septuagénaire, transmettant au jeune magistrat son expérience, ses convictions, ses savoirs (que ce soit sa connaissance des années de plomb italiennes ou celle de la montagne) et l'entraînant par là-même dans un rapport maître/disciple, père/fils assez fascinant. Si l'échange est rapporté sous forme de procès-verbal, concrétisé par une typographie de machine à écrire, la relation évolue vers une discussion qui se veut plus intime, plus confidentielle… Mais chacun reste sur ses gardes car au coeur de ce débat presque philosophique, il y a une victime et peut-être un meurtre.
Un texte vraiment remarquable ...
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