Retenue à l’hôpital par une complication postopératoire, Lucy voit arriver à son chevet, sa mère qu’elle n’avait plus vue depuis ses études à la fac. En tête à tête pendant cinq jours et cinq nuits, elles vont se remémorer des personnes connues autrefois et se réapprivoiser peu à peu. Pour Lucy, cette présence est aussi un douloureux retour dans une enfance qui fut loin d’être heureuse. Ces échanges, sorte de catalyseur pour la narratrice, lui permettront de mettre des mots sur les souffrances passées et la convaincront que l’envie d’écrire qu’elle avait en elle depuis toute petite n’est pas un rêve vain.
Quelques années plus tard, devenue écrivain, Lucy raconte ces cinq jours qui ont vu toute une vie se déployer entre les murs d’une chambre d’hôpital. Constamment en équilibre entre amertume et espoir, ressentiment et amour, elle retrace le chemin qui l’a menée à New York, loin de sa petite ville natale, où ne poussait que le maïs à perte de vue. Point de départ de son récit de vie, cette période d’introspection sera aussi le déclencheur d’une série de choix qui façonneront sa vie, ses relations aux autres et sa détermination impitoyable à atteindre ses objectifs.
Ce roman nous présente deux portraits de femmes, particulièrement intéressants. D’un côté, il y a la mère, fière d’être descendante des colons qui ont fait de l’Illinois une riche terre de culture et qui garde la tête haute malgré la misère, le regard des autres et les difficultés de la vie. Droite, dure, déterminée, elle ne s’apitoie pas sur elle-même ; besogneuse, elle fait de son mieux pour élever ses trois enfants dans les valeurs et convictions qui sont les siennes. Il n’y a pas de place pour les déclarations d’amour ou les marques d’affection, l’important, c’est la survie quotidienne. De l’autre, il y a la fille, enfant solitaire, mise à l’écart à cause de la pauvreté de la famille et qui reste tard à l’école pour faire ses devoirs car il y fait chauffé, quand chez elle on meurt de froid. Consciente que la réussite de ses études l’aidera à mieux vivre, amoureuse des livres qui lui donnent envie d’écrire à son tour, elle trace son chemin avec la même ténacité que sa mère, pour s’éloigner le plus possible de cette vie de labeur et de souffrance.
L’hôpital est lui aussi un personnage de l’histoire. La chambre d’abord, confessionnal où mère et fille se confient, séparées par le rideau qui isole la malade et permet à chacune d’oublier la pudeur et la retenue que leur éducation a toujours imposées entre elles. Sa fenêtre donne sur le Chrysler Building, tout illuminé de nuit, sorte de balise et d’espoir pour Lucy. Cité sept fois dans l’histoire, sa description ponctue les moments cruciaux de leurs échanges. Le médecin ensuite, dont la visite quotidienne interrompt rituellement le tête-à-tête mère-fille. Sa présence et son regard qui en dit long réconfortent Lucy chaque soir un peu plus. Si sa mère est un lien vers son passé, le médecin la relie à l’avenir qui s’ouvre à elle.
Les deux tiers du livre racontent ce huis-clos à l’hôpital. Cela pourrait sembler long mais la plume alerte et précise de l’auteure nous entraine au fil des pages. Il est, de plus, un passage obligé dans la recherche d’identité à laquelle se livre Lucy. La femme qu’elle est trouve ses racines dans son enfance et elle ne pouvait simplement l’esquisser. Lucy a besoin de savoir d’où elle vient pour décider ce qu’elle deviendra.
Premier de la rentrée que je lis, ce roman est une très belle découverte. Non seulement pour l’histoire servie par une belle écriture mais aussi pour l’auteure que je ne connaissais pas et qui maitrise parfaitement son sujet. Une belle histoire de femmes !