C'est du Badiou dans sa veine "philosophie populaire", que je connais mal. Les oukases y sont moins présentes et moins lisibles que dans sa philosophie savante. Au fil très organisé de deux conférences devant des publics jeunes (étudiants et associations issue de Nuit Debout), il y aborde la question de l'autre (en quoi l'autre-autrui est intrinsèque au même-moi) et celle, plus large mais non décorrélée, du politique, c'est-à-dire du communisme, dans le sens qu'il lui donne en son opposition au mouvement dont il place la naissance lors de la révolution néolithique (propriété privée, famille, Etat) et que l'on appelle aujourd'hui capitalisme. Ca se lit très bien - c'est décidément un excellent orateur, au-delà d'un esprit excessivement puissant - et donne accès à des gammes d'outils, clairement et résolument inscrites dans une lutte idéologiquement marquée et dépassant le cadre d'une unique génération.
L'oeil exercé admirera, ou s'irritera, ou s'amusera, encore, de cette façon que Badiou a de jouer son Socrate, ou son Platon, de reprendre un geste à Heidegger (certes pas le nazisme, mais le sens de l'épaisseur temporelle, d'une forme d'historialité ancrée dans le passé mais dynamisée vers le futur dans une démarche... matérialiste), de traiter la tradition en réservoir à idées à restructurer, dans une façon intensément française de philosopher, selon le déploiement de sa problématique propre.
Cela dit, je reste très méfiant de la démarche, en admirerais-je souvent l'architecture. Je ne suis plus convaincu par les filets rhétoriques et conceptuels avec lesquels les grands esprits, volens nollens, pêchent suiveurs, thuriféraires et disciples. Mais j'en apprécie le souffle et j'en reconnais la pertinence, à une époque où s'indigner sur les réseaux sociaux semble faire office d'engagement politique, là-même où, alors qu'il s'enrichit globalement, le monde se fait plus violent, plus intense et plus létal.Cela dit, cécité absolue - et à mon sens au mieux étrange, réactionnaire au pire -, il n'est pour Badiou jamais question des conditions de vie entrainées par l'activité politique d'une humanité considérée comme séparée d'un entour qui n'a de valeur qu'ustensile - l'autre alors n'est jamais qu'un autre humain, jamais l'altérité de choses que leur structuration organique peut faire authentique force à prendre en considération politique - et qu'on dit aujourd'hui "nature".
A lire, donc, si les sujets intéressent - si cela ne donne pas de clef pour le Badiou technique et fascinant de L'être et l'événement ou Logique des mondes, c'est rapide, clair, et probablement stimulant.