« Qu’est-ce que la vérité ? La réponse est si facile ! La vérité est ce qui nous consume. »*
Chaque page brûle, dans un chef d’œuvre. Je les lis en me consumant peu à peu, rendue à moi-même et aux miens, mais aussi, par l’action de cette pyrolyse douloureuse, débarrassée de ce qui ne doit pas s’écrire, si ce n’est ce qui va au plus vite, au plus juste.
Ce n’est pas le cas du Journal de galère, ce n’est jamais le cas d’un journal, de correspondances, de carnets et autres écrits fragmentaires rassemblés dans des recueils inégaux, et c’est pour cette raison précise que j’affectionne autant ces formes moins littéraires, ces épluchures de talents, qui, dans leur perspective de débarras, de ce qui ne sera donc pas, par définition, dans l’œuvre voulue finale, l’a épaulée, confortée, adoucie, rejetée. Le dialogue d’un écrivain avec les autres ou bien lui-même – qui ne peut être cet écrivain qu’on attend à chaque ligne, mais qui, toujours, écrira – ne consume pas. Il accueille le tout-venant, et partage son imperfection.
« Élaborer une technique de survie ; comme en temps de guerre ou de catastrophe naturelle : “tenir”. […] Écrire comme si j’écrivais en prison, me poser des questions. 1. Écrirais-je en prison ? 2. Quand ? (Après avoir terminé mon travail de prisonnier et m’être un peu reposé.) 3. Quoi ? (Exclusivement l’essentiel, le produit de l’irrépressible.) »
J’ai beaucoup pensé à mes amis ces dernières semaines, ce qu’il en restait, ceux qui se découvraient, comment les retrouver, les louer, que leur apporter. Il m’est venu une triste constatation, celle que la grande dépression gagnait, non pas moi mais alentour. Une constatation accompagnée du sentiment sinistre d’être une rescapée, une reprise de justesse (expression dont je ne me souviens même plus à qui je l’emprunte), chancelante sur ses jambes comme un petit animal balancé de la hauteur de sa mère, qui sera immédiatement promu éclaireur pour les non-nés et devra déjà tendre la main, revenir dans le trou, pour sortir quelques-autres du pétrin.
L’un des gages d’affection les plus profonds consiste à retourner dans ce trou maudit pour un autre, alors qu’on n’a aucune assurance pour soi-même. Combien nous ont fermé la porte, terrifiés de retomber avec nous ? « Je m’en suis sorti, tu comprends, je me protège. »
Or, ne pas vivre sur le fil, ne pas remettre chaque matin son relatif bonheur en jeu pour s’assurer qu’on n’aurait pas mieux à faire que de jouir seul, ou avec une pâle poignée d’êtres mouvants affichant des placards bien fermés, mais nullement vides, ne me semble pas acceptable. Et ce que je n’accepte pas, je ne peux le négocier avec mes humeurs secrètes, les flux qui vissent et serrent les accès à une respiration complète, au lac rouge étale, au sourire contagieux. Il faut risquer, essayer plutôt que renoncer, même en rampant, ongles en sang, écrasé par l’absurdité.
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