Ceci n'est pas un objet à fonction esthétique
Qu'en dire, et bien pas grand chose.
J'ai hésité à écrire cette critique qui ne témoignera finalement que d'une absence de sentiments face à ce texte.
Je le reprends alors que je suis sous l'influence de Genette, j'y reviendrai.
L'intérêt majeur que je vois à ce texte est son titre. Inventant le mot extime pour l'opposer à intime, Tournier met en lumière un phénomène intéressant qui demande encore à être décrit, j'y reviendrai aussi.
Le problème de ce texte, le premier, c'est que la définition donnée à ce mot qu'il invente est si restrictive, si teintée d'un égo triste à lire que, dès l'introduction, on s'aperçoit que le livre ne changera pas notre vie.
Quand je pense à un journal extime, j'ai de nombreux exemples modernes: je pense au Mausolée des amants de Guibert, journal supposément intime mais écrit pour être lu, si ce n'est que par son compagnon. Je pense au journal de Lagarce qui est écrit et retouché afin d'être publié. Je pense bien sûr à Anais Nin. Je pense aussi et surtout à un livre qui ne me touche pas: Le journal d'Anne Frank. On me dira qu'il n'est pas fait pour être publié, qu'il reste personnel et tourné vers soi. Je répondrai qu'il existe (ou je crois, du haut de mes souvenirs de jeunesse) une démarche étrange d'édition de la part de Anne Frank. Pourquoi corriger son journal intime s'il n'est qu'intime, s'il n'y a pas la pensée d'un autre, avec ou sans conscience de sa présence?
Voilà des ouvrages que j'appellerais extimes.
Tournier, lui, ne le voit pas comme cela. Ce qu'il appelle extime constitue, si tenté que la différence existe dans les faits, un journal qui au lieu de parler de l'intériorité de l'auteur parle de l'extérieur. Alors il ne nous parle pas de sa peine de cœur, mais des articles de presse, il nous parle des peines de cœur de ses amis, il nous parle de tout ce qui se passe dans sa vie, quand il n'est pas seul, ou du moins pas en train de consulter son intérieur. Je trouve que l'intérêt d'un journal est au moins autant l'exploration intérieure que l'exploration extérieure, cet espace qu'il donne à l'exploration d'une intériorité. Lui il le voir dans l'exploration de son jardin.
Nous divergeons donc.
Je vais donc utiliser Genette et sa distinction entre le régime constitutif de la littérature, basé sur les genres définis et décrits, ce qui n'est pas encore le cas du journal extime, et le régime conditionnel, plus subjectif, basé sur un sentiment.
Ce Journal extime, je ne le trouve pas beau, pas drôle, pas intéressant. Je le trouve petit, égocentrique. J'y vois une ambition démesurée qui ne fait rien. C'est un grand chef qui prend une feuille de laitue et y met une goute d'huile d'olive bas de gamme pour appeler cela de la gastronomie. Je n'ai jamais vu un grand chef le faire, et je trouve problématique que Tournier, lui, le fasse. Donc voilà. Ce texte n'est pas une oeuvre littéraire (régime constitutif) et ne me touche pas (régime constitutionnel), pour moi ce texte n'est pas un objet esthétique. Il ne peut pourtant être rien d'autre. Alors ce texte est un rien. Passez-vous de ce temps perdu sur rien.