L’ouverture du roman sur une interview de Ronald Kandiotis, un milliardaire généreux et discret, donne le ton d’emblée.
Ce roman est porté par une écriture fluide, précise, juste. Les changements de registre, assez marqués, permettent de saisir immédiatement de quel point de vue on se place (car le récit en change assez fréquemment) : la narration extra-diégétique est servie par un registre soutenu, tandis que les personnages expriment leurs pensées dans des registres plus courants voire familiers.
La structure du livre, divisé en une centaine de chapitres de longueurs très variables, est en partie responsable de l’appétit que j’ai eu pour le livre. Lire la première phrase d’un chapitre nous amène à la fin de celui-ci, sans qu’on s’en rende compte.
Les personnages, nombreux, sont tous, sans exception, exploités, creusés et gardent pourtant une part insaisissable. Ils ont une profondeur, une complexité que je n’ai pas trouvées dans les deux livres précédents.
L’image publique de Ronald Kandiotis, ou Ronny, que ce dernier a mis du temps à construire, s’érode au fur et à mesure de la publication des lettres. D’aucuns le perçoivent comme un milliardaire à nul autre pareil, accablé par des malfaiteurs sans foi ni loi, d’autres le voient comme un monstre occultant sa véritable nature sous l’aspect d’un homme d’affaire singulier mais humaniste et généreux. Le lecteur balance longtemps entre ces deux extrêmes le juste milieu s’avérant inconcevable. Ce choix est délicieusement cruel.
De la même manière, Valentin Andrieu est indéchiffrable : journaliste, il est le fils ignoré de Kandiotis qu’il n’a jamais connu. Il est l’auteur du kidnapping de sa propre sœur Lara (avec qui il a son père en commun), et des lettres de l’AVRAK. Il « ouvr[e] béant le gouffre des sentiments que p[eut] éprouver un fils pour son père. Se faire admirer et vouloir le tuer. L’aimer, au fond. » (page 363). Il partage également un amour incestueux avec son autre sœur, la diva déchue Angelina Crespi (ils partagent la même mère, ancien amour de Ronny) qui n’est autre que la professeure de chant de Lara, victime du kidnappage.
Lara, fille de Ronald et de sa femme Veronika, est courageuse, intelligente et attachante malgré le peu de chose que l’on sait d’elle. Si seulement on pouvait entrer dans l’univers du livre pour l’écouter chanter…
L’enquête est menée par une commissaire, Marie Longpré, charismatique, qui m’a donné l’impression d’être à côté de la plaque pendant la quasi-totalité du livre. Mal m’en a pris, car elle découvre, étonnamment, le fin mot de l’affaire (Columbo ne la renierait pas !).
Le récit de l’enquête de la commissaire est entrecoupé de passages narratifs qui relatent les sentiments de Lara, Kandiotis... On se perd un peu dans le flots d’informations que nous livrent ces deux derniers personnages, on a du mal à comprendre qui ils sont, mais leurs profils se dessinent peu à peu et le dénouement de l’enquête est totalement inattendu.
J’ai adoré ce roman policier qui traite de sujets politiques brûlants, quasi-philosophiques : la place de l’art dans la société et les ravages de l’argent dans l’esprit humain entre autres. Les personnages de Kandiotis (et sa fausse perfection) notamment suggèrent une critique du paraître et des faux-semblants derrière lesquels une certaine société se dissimule.