D'Alphonse Allais, je connaissais surtout les contes, hilarants, décalés. Son roman est dans le même ton. Il ne respecte rien et surtout pas les puissants. Il s'en moque gentiment, ce n'est pas méchant mais toujours ironique, sarcastique et très drôle. Dans ce roman, on sent bien où vont ses sympathies, plutôt vers ceux qui vivent, qui osent quitte à se mettre les bien-pensants à dos. Et comme toujours chez lui, l'écriture est élégante, même dans l'humour. On ne s'esclaffe point, mais le sourire est toujours au coin des lèvres.
Peu de description, il s'en explique dans une lettre à Tristan Bernard -auquel le livre est dédié- en exergue : "Tu remarqueras d'abord que les descriptions y sont très brèves, et que l'on n'y insiste sur l'aspect général des nuages, arbres et verdures de toute sorte, sentiers, lieux boisés, cours d'eau, etc., que dans la mesure où ces détails paraissent indispensables à l'intelligence du récit. En revanche, le plus grand soin a été apporté au dessin (outline) et à la peinture (colour) des caractères." Beaucoup d'auteurs contemporains devraient lire, relire, s'inspirer voire respecter ces quelques lignes, que de pages longues et ennuyeuses évitées et que de densité gagnée. Dans cette lettre, il continue son explication, non sans humour : "D'autre part, l'intrigue (plot) est entrecroisée avec tant de bonheur qu'on la dirait entrecroisée à la machine ; or il n'en est rien. Quand au style (style), il est toujours noble et, grâce à des procédés de filtration nouveaux, d'une limpidité inconnue à ce jour." (p. 3)
Et c'est vrai que la part belle est faite aux personnages, tous aussi caricaturés les uns que les autres. L'écrivain en étant lui-même un, car il ne se prive pas d'intervenir, d'interpeller les lecteurs, pour expliquer tel événement, pour dire que là, il laisse volontairement un vide ou qu'au contraire il remonte le temps... Enfin, bref, que du bon et du drôle.