On ne peut limiter cet ouvrage à l’étude d’une injustice particulière : c’est bien l’ensemble de l’institution judiciaire qui est ici dénoncée dans sa parfaite inadéquation aux réalités humaines.
Institution qui, dès que l’on envisage sérieusement sa mise en œuvre, se révèle être essentiellement, à travers ceux qui en sont l’instrument, une machine à broyer aveugle et inefficace, propagatrice à tous ses niveaux d’une injustice palpable, aux effets sociaux désastreux.
C’est à travers l’étude approfondie de ses quatre personnages principaux et de leurs motivations, que Jakob Wasserman en fait la démonstration ; les péripéties de «l’affaire», qui nous seront progressivement révélées restant finalement, à coté, presque subsidiaires.
Ce n’est donc pas là que réside le mystère mais bien plus dans l’extraordinaire tendance des êtres humains à s’illusionner ; comme s’il s’agissait de l’essentiel de ce qui à la fois les différencie et les réunit.

« Une fiction avec laquelle on a résolu de vivre est un tyran qui se refuse à voir et entendre. »
Ainsi, de cette pertinente remarque du baron Wolf d’Andergast, qui rebondit constamment dans le cours du récit ; lui-même semblant incapable de comprendre à quel point elle le concerne directement, lui qui symbolise justement toute la puissance aveugle d’ «une institution qui ne possédait plus qu'un simulacre d'existence; sortie des pandectes poussiéreux, elle survivait seulement en effet dans la tête de quelques hommes qui ont tiré de formules artificielles les concepts avec lesquels ils ont contracté une symbiose de fantômes.»
Mais face à l’aveuglement du juge répond, en miroir, le monde fictif de l’accusé Léonard Maurizius, bien trop indifférent au monde réel et engoncé en son univers pseudo-romantique pour être capable du moindre discernement sur les motivations de ceux qui l’entourent.
Autre personnage clé, Grégoire Waremme, piégé dans le reniement de sa propre identité et réduit à gâcher son talent et son intelligence dans des agissements de « deus machina » de pacotille, tirant sa triste gloire de son pouvoir de manipulation sur les autres.
Mais il y a aussi, fort heureusement, la frêle mais volontaire silhouette du jeune Etzel d’Andergast qui illumine le récit de sa droiture et de son intelligence sensible sans jamais s’illusionner sur lui-même : «On n'a pas l'âme assez simple, se dit-il gravement; il faudrait qu'elle le fût davantage; on ressemble à un crayon trop finement taillé dont la pointe se casse dès qu'on se met à écrire.»
On regrettera par contre que les intéressants portraits de femmes, portants sur des caractères très différenciés, aient juste été entamés et nous laissent donc quelque peu sur notre faim.
On ne pourra oublier de replacer tout cela dans le contexte historique de cette fin des années 20 en Allemagne : cet ouvrage figurera en effet sur les listes de livres que les nazis désignèrent comme étant à bruler en priorité, cinq années après sa parution en 1928. (voir ma liste http://www.senscritique.com/liste/Allemagne_l_entre_deux_guerres_1918_1939/271129 )
Il n’était alors déjà plus question de traiter des problèmes humains.

steka
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le 16 avr. 2015

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