Roman que j'ai eu l'opportunité de lire en avant première puisqu'il fait partie des romans annoncés pour la rentrée littéraire. Merci à #NetGalleyFrance et #LesEscales de m'avoir permis de découvrir #LAffranchie que j'aimerais qualifier d'étonnant et de détonnant. Explications.
Ce livre nous propose une plongée à l'époque du far ouest où j'ai parcouru (un peu) les grandes plaines sauvages et dangereuses, j'ai rencontré quelques chasseurs de scalps et un shérif protecteur. Je me suis arrêté dans un saloon-bordel, où au rez-de-chaussée j'ai écouté de la musique sur un piano pas tout à fait accordé, bu beaucoup de whiskeys sur un bar pas tout à fait propre, fais plusieurs mains au poker avec des professionnels ou presque, senti l'odeur acre de la poudre lors d'échanges plus que houleux. Puis je suis montée à l'étage et j'ai pu découvrir des chambres proprette, des femmes aux mœurs légères qui n'ont que l'obsession d'enlever un poids lourd des membres virils rencontrés contre quelques pièces économisées dans l'espoir un jour avoir, peut-être, une nouvelle vie. J'ai rêvé d'une autre vie, de nouveaux espaces, de nouvelles relations plus conventionnelles, mais pas elles. Ces jeunes femmes semblent au final, loin de la rêverie et contemplent le jour qui arrive avec un certain fatalisme. Leur vie pourrait être pire dans un monde encore sauvage et la protection illusoire du lieu mieux que la boue et la faim.
C'est donc dans cette atmosphère relativement sereine que fait son entrée Bridget après une errance rude et douloureuse et ne demande au final que le repos de son esprit à défaut de son corps mais celui-ci ne va pas durer car Bridget va gamberger de plus en plus lorsque son attirance ne va pas aller vers le sexe opposé mais vers des femmes qui l'a font finalement rêver. Claudia Cravens propose avec beaucoup de subtilité, cette disgression des mœurs de l'époque sans jamais tombé dans le cru, dans le voyeurisme ou dans le jugement. Ces femmes à la petite vertu choquent les bigotes, Bridget choque ces femmes de part son orientation sexuelle, mais au final cela arrange tout le monde du moment que Bridget ne fait pas de vagues. Mais tel ne va pas être le cas.
J'ai beaucoup apprécié l'ambiance tamisée du bordel. Huis clos où ces femmes s'agitent, rient, pleurent et sont relativement protégées de l'intérieur comme de l'extérieur. Claudia Cravens donne du sens en utilisant un vocabulaire adapté, Bridget a de la gouaille, n'a pas peur de dire ce qu'elle pense même si elle ne peut cacher la peur de ses sentiments. Cette attraction inexplicable et inexprimable qui la dévore et qui va lui valoir quelques infortunes.
Je reproche cependant à ce roman que ces personnages sont au final assez superficiels, sans une exploration profonde de leurs sentiments et de leurs désirs. La scène de la perte de la virginité de Bridget m'a particulièrement dérangée, non pas par l'acte en lui même et il faut que je précise que ce roman n'est pas pornographique, mais plutôt par le contre pied choisi par l'autrice du fait que cela ne comptait pas pour la protagoniste. J'ai donc ressenti à plusieurs reprises une froideur entre moi et les personnages lors de scènes clés qui vont demander de faire des choix. Alors que parfois, sur des faits du quotidien il y a une réelle réflexion. Comme si le roman était déséquilibré dans sa construction ou que l'autrice voulait tellement prendre du recul et ne pas présenter justement un livre à caractère sexuel qu'elle a pris trop de distance à ces moments précis. Cet éloignement ne m'a donc pas permis de me sentir proche de ces personnages pourtant si intéressants autant qu'ils sont.
Cependant, la direction prise par Claudia Cravens à la fin du roman est drôlement endiablé. Le diable au corps, le sang échauffé, l'esprit libéré, tout devient plus fluide, plus réel, plus intéressant, et on ressent cet attachement au personnage de Bridget que l'on a cherché durant toute la lecture. L'émotion finit par craqueler les pages et la dernière page tournée, je me dis : "Je ne suis vraiment pas déçue" et en même temps "quel dommage que je n'ai pas retrouvé cette intensité tout au long du texte et que certaines longueurs auraient pu être évitées", et puis "j'aime ce roman qui m'a étonné avec un sujet qui détonne, écrit avec beaucoup de subtilité et de réserves" et puis "trop de réserves quand même". Bref, vous aurez sans doute compris, je suis toujours hésitante mais sans aucun doute à découvrir.