1993 marqua, à l'évidence, un tournant dans la vie politique française. Déjà affaibli par une première opération en 1992 du cancer de la prostate dont il souffrait en secret depuis plus de dix ans, le président François Mitterrand doit subir cette année-là une nouvelle intervention chirurgicale. Fragilisé physiquement, il l'est également au niveau politique. Le remplacement du Premier ministre Michel Rocard - en fonctions à l'hôtel Matignon depuis la réélection de 1988 - par Édith Cresson ne donne pas à la politique gouvernementale l'élan attendu. Très critiquée, la première femme chef de gouvernement nommée en France - avec Elisabeth Borne, il n'y en a eu que deux à ce jour depuis 1958 - doit céder la place en catastrophe à Pierre Bérégovoy. Mais les efforts de ce dernier pour tenter de sauvegarder la parité du franc à l'égard des autres monnaies européennes, dans la perspective de la création du futur euro, asphyxient l'économie et la croissance. Le chômage atteint des niveaux record. L'impopularité du pouvoir socialiste aussi. Conséquence logique de ces turbulences : à la fin mars, l'opposition de droite remporte largement les élections législatives.
S'ouvre alors une nouvelle période de cohabitation politique, entre un président représentant la gauche, et une majorité conservatrice, dominée à l'époque par le RPR (Rassemblement pour la République). Le leader et fondateur de ce parti, Jacques Chirac, va-t-il retrouver son fauteuil de Premier ministre, cinq ans après la fin de la première cohabitation, et après une sévère défaite face à François Mitterrand ? Mais Chirac, à l'évidence, malgré deux échecs, vise plus que jamais l'Élysée. Et redoute une nouvelle confrontation avec son vieil adversaire. Il choisit de concentrer ses forces et son énergie sur la campagne présidentielle à venir, et pousse à Matignon un de ses proches, Édouard Balladur, un "ami de trente ans", qui avait été ministre de l'Économie et des Finances entre 1986 et 1988. Lequel Balladur, le moment venu, s'effacera devant son chef de file, Jacques Chirac n'en doute pas. Comme on le sait désormais, le scénario bien huilé de l'infatigable Corrézien s'écrira avec quelques péripéties non prévues à l'origine…
C'est précisément ce que montre cet "Agenda secret", un ouvrage abondamment illustré, où le futur président - aujourd'hui décédé... - distille au jour le jour ses espoirs, ses ambitions, mais aussi ses doutes. Car les deux années qui le séparent de la victoire finale sont tout, sauf un chemin de roses… C'est ici un Chirac intime que nous découvrons, sur le terrain de cette France profonde qu'il a tant aimée, ainsi que dans sa capitale, aux prises avec ses adversaires ou avec ses faux amis, voire… avec lui-même ! Une autre lecture d'une histoire que nous croyons bien connaître, un ouvrage indispensable, aussi bien pour ceux qui ont vécu cette période, que pour les plus jeunes générations.