1939 : la jolie petite tête blonde au sourire ravissant ne demandait rien d'autre que d'être aimée et remplir son coeur de tendresse. Orpheline à 16 ans, Karin était à 18 ans l'enfant sauvage, au caractère trempé, solitaire dans le froid hiver de Copenhague. Une foi fébrile l'animait, mais surtout le désir profond d'un amour romantique. Sa pureté intacte, elle s'ouvrait aux curiosités des soirées séductrices du quartier de Tivoli.
C'était un terrain de jeu parfait pour le jouisseur français, Roger, peureux architecte fuyant la guerre et résolu à ne consacrer ses années de jeunesse qu'à l'assouvissement du désir charnel. Point d'amour, point d'attache. La rencontre, la séduction, la jouissance, l'oubli, et le cycle répété machinalement auprès de créatures toujours plus enivrantes.
Mais le mystère de l'amour foudroie ces deux âmes si différentes, bien que toutes deux d'une dotées grande sensibilité. C'est pour Roger, dans un premier temps, le rejet de ce fait perturbateur, corbeau venant noircir son exil, qui vient et revient comme une évidence. Finalement l'égoïsme cède face à l'amour, et celui-ci se révèle au plein jour : c'est la passion folle, l'union des âmes et des corps dans un élan incontrôlé :
J'aimais Karin avec une fureur qui anéantissait dans mon esprit les raisonnements que je me faisais naguère alors que mon coeur hésitait encore. A présent je ne m'appartenais pas plus qu'elle ne s'appartenait elle-même.
Le départ inévitable de Roger pour la guerre sonne le glas. Karin a goûté aux grappes fruitées de la sensualité et tout a vacillé, l'empreinte de la virilité est sur son corps indélébile. L'Allemand arrive avec son uniforme, sa raideur, dans son charisme dominateur. Pour oublier Roger ou simplement assouvir une envie de luxure, Karin s'offre à l'envahisseur, passant d'un officier à un autre, élégante dans ces voitures aux côtés de bustes ariens verts de gris.
1945 : l'ennemi est battu. Karin est mise au ban, répudiée. L'Allemande comme on l'appelle : elle est condamnée à la mort sociale, à l'abstinence et à la solitude. On lui ferme la porte aux magasins, on refuse de lui servir le café, les taxis s'écartent à son approche. Sa maison excentrée devient son cercueil glacial :
Ils m'ont tuée en ne me punissant pas par la violence. La vraie mort valait mieux que la mort vivante où ils m'ont jetée, la mort qu'ils ont inventée pour moi."
1949 : depuis 4 ans cette mort dure. Tout à coup, un courrier, puis une visite. C'est Roger. La vue se trouble, le corps moite tremble et s'écroule : l'homme qu'elle n'a jamais pu oublier revient, mais il revient en enfant prodigue. Pour elle le verdict est simple : il est tombé dans les facilités de la foi dont il l'avait libérée, et vient d'un repentir candide proposer une conversion inutile. Malgré elle, s'en suit un conflit interne, une bataille sourde où haine des dévots, chagrins, rationalisme, apparitions mystiques, moments de lucidité, détresse et orgueil se mêleront dans un fracas assourdissant :
"Priez pour obtenir la contrition qui vous manque. La paix vous sera rendue.
- La contrition ?
- Un regret tel qu'il vous brise le coeur. Il faut que le coeur humain se brise pour que Dieu y entre."
L'orgueil luttera tant et tant, mais dans sa chute à genoux son coeur s'est brisé.