La suite inutile de Jacques
Ionesco semble ne pas se suffire à lui-même. Il le signale lui-même en annonçant l'oeuvre : il ne s'agit que d'une "sorte" de suite à "Jacques ou la Soumission".
"L'avenir est dans les oeufs" est un complément dispensable de "Jacques", c'est d'ailleurs pour cela que les deux pièces sont condensées dans un seul ouvrage. Pas réellement inutile, la pièce reprend la scène de fin de "Jacques" pour y ajouter une critique de la procréation & du deuil.
Y sont attaqués la guerre en général, l'hypocrisie familiale & le devoir de succession. L'auteur présente ici "l'avant-garde de l'après-guerre". Toujours aussi burlesque, la moitié de la pièce se contente de quelques artifices dramatiques (qui peuvent être drôles sur scène, mais la lecture est redondante & même désolante parfois). L'autre moitié affiche la soumission de Jacques au reste de son entourage, avec toutefois des pointes d'amertumes quant à son ancien statut anti-conformiste.
Les parents désirent des enfants, pour succéder au grand-père, mort entre les deux pièces (trois ans se sont écoulés, mais ce n'est qu'un détail) : référence au roi de France avec "Grand-Père est mort, vive Grand-Père !", l'oeuvre étale toute l'ironie familiale quant à l'importance d'avoir des enfants. Marie-Claude Hubert, en charge de la préface, reprend les dires de Ionesco en disant que les enfants ne sont que des "êtres pour la mort", comme je l'avais signalé dans ma critique sur "Jacques", c'est-à-dire de pures distractions visant à combler le malaise de l'existence. Qu'importe que les gens meurent, la "production" répétée inlassablement par les deux familles permet d'en faire naître de nouveaux qui les remplaceront, qui prendront place dans la société, dans l'ineffable acceptation de l'humanité.
Ionesco est complètement outré par cette procédure d'enfantement, & s'en prend d'ailleurs à la guerre, qui envoie ces enfants censés faire le bonheur de leurs parents au combat, se faire mutiler, de la pure chair à canon.
Conclusion quant à l'ensemble de ce drame familial : beaucoup d'égarements de la part de l'auteur, la mise en place du burlesque & du surréalisme pour aborder sous un angle comique les questions existentielles des traditions humaines (oralité, sexualité, mariage, procréation). Les deux pièces sont courtes & peu denses (Nouveau Théâtre, me répondra-t-on, mais il y a ici beaucoup trop de vide), & le loufoque répétitif lasse très vite : mieux vaut assister aux représentations, comme celle dont la mise en scène est de Lucian Pintilié, qui ajoute des touches subjectives d'originalité à un théâtre qui s'avère assez ennuyeux malgré les thèmes abordés & la volonté humoristique.