J'ai lu les 4 tomes de L'amie prodigieuse à la suite, les entrecoupant parfois d'un petit polar sans prétention pour ne pas me lasser par plus de 2000 pages d'un seul bloc. C'est ce qui doit expliquer que je n'aie pas souffert du foisonnement de personnages secondaires, certainement difficiles à resituer si l'on doit laisser courir une année entre les lectures de 2 tomes.
Ce qui m'a vraiment accrochée, dans cette fantastique série, c'est la psychologie extrêmement poussée des 2 personnages principaux, Lila et Elena, ainsi que celle, bien que moins travaillée mais savamment orchestrée, des personnages masculins gravitant autour.
Elena est limpide, et pour cause, c'est dans sa tête que l'on se trouve, puisqu'elle est maîtresse de la narration. Loin de jouer les héroïnes parfaites, elle décrit de manière totalement transparente et honnête ses propres contradictions, son amour, sa gentillesse, son courage et son acharnement, mais aussi sa jalousie, son besoin de se comparer, sa vanité, sa haine parfois, son désir de plaire et son manque permanent de confiance en elle. Plus que l'histoire d'une ascension sociale, Elena Ferrante m'a raconté celle d'une femme qui se débat pour devenir et rester elle-même, au-delà de toute considération politique, économique ou de genre.
Lila, la fameuse Lina, quant à elle, est bien plus opaque, du début à la fin, comme ne cesse de le rappeler la narratrice en soulignant qu'elle ne fait que décrire gestes et paroles de sa part, mais que tout le reste demeure sa seule interprétation personnelle. Un fait est avéré : Lila est brillante, clairvoyante, et certainement surdouée, mais son milieu de vie étrique cette intelligence, l'empêche de se déployer pleinement, faisant naître à la fois une aura rayonnante et une immense frustration qui la gangrène de l'intérieur et la transforme bien souvent en sorcière d'une méchanceté abominable. Un deuxième fait, découlant du premier, se dessine progressivement, et se confirme durant l'épilogue avec le paquet surprise qu'elle dépose sur la boîte-aux-lettres d'Elena : Lila est une grande manipulatrice, que se préoccupe finalement très peu des autres, ne les voyant généralement comme des pions sur un échiquier, de simples moyens d'arriver à ses propres fins.
Il paraît clair que dés la fin de l'école primaire, Lila développe une jalousie maladive pour son "amie" Elena, qui lui a piqué son rôle de première de la classe (rôle qu'elle ne lui rendra plus d'ailleurs). Au final, on ne connaîtra jamais ses véritables sentiments à l'égard d'Elena : amitié, ou véritable haine? Pietro aurait-il vu juste dès le départ? D'ailleurs, les deux seules personnes pour lesquelles elle a montré un réel amour ne sont-ils pas celles qui lui renvoyaient le reflet de sa propre image? (Tina et Nino)
Mon interprétation est que Lila nourrit un sentiment de supériorité couplé avec un sentiment d'injustice vis-à-vis d'Elena, qui a pu continuer ses études, sortir du quartier, réaliser leur rêve d'écriture, a eu un enfant de Nino, et gardé toutes ses filles. De ce fait, il apparaît que, sous une amitié apparente (elle est toujours là pour elle), elle n'a de cesse de la torturer et de la rabaisser, elle est sa littérature... par vengeance?
Je pense qu'il est inutile de vouloir trancher, sachant que Lila est le personnage le plus anti-manichéen (et retord!) qu'il m'ait été donné de rencontrer.
Les personnages masculins de Pietro, et surtout Nino, sont aussi intéressants à étudier. Pietro n'est pas beau, n'a ni l'aura ne le bagou de Nino, pourtant, il se révèle intelligent, gentil, constant et responsable. Nino au contraire est extravagant, séducteur, grand orateur et flambeur; il déborde de personnalité et de bonnes intentions mais, à contrario, n'assume rien dans sa vie personnelle, ni ses origines, ni ses femmes, ni ses enfants, et a une propension à la fuite désarmante, mais tellement réaliste..!
Pour conclure, je retiendrai de ces 4 romans une fabuleuse galerie de portraits de gens imparfaits, et tellement réalistes que j'ai presque cru par moments qu'ils existaient vraiment et pouvaient à tout instant sortir des pages.
J'ai détesté Lila, l'ai admirée, l'ai prise pour modèle, l'ai plainte, puis détestée à nouveau. Comme Elena, je n'arrivais pas à la suivre. Et comme Elena, jusqu'à la fin, tout ce que j'ai pu penser du fondement de ses actes ne resta qu'interprétation personnelle.