Je serais presque tenté à lire les évangiles pour bien cerner les libertés qu' a prises Saramago (pour celles non évidentes). Parce que c'est fluide, on ne ressent pas une revisite forcée de la vie tant (?) connue de l'ami JC. Il faut dire que l'auteur a une très belle plume qui sied parfaitement au sujet mais qui est cependant éprouvante dans la ponctuation des dialogues (seule une virgule et une majuscule déterminent le changement d'interlocuteur, un coup à se paumer dans la discussion). Ainsi la contrée et l'époque sont incroyablement bien décrites, on s'y croirait.
Bien que le livre s'étende longtemps sur la pré-naissance dudit gaillard (le voyage à Bethléem) et a donc un (long) début de livre pas si passionnant, il serait dommage de le reposer sur l'étagère (comme je l'avais fait) car il prend son envol dès que Jésus devient protagoniste (et égoïste) : on voit ainsi un JC plus humain (de l'image qu'on s'en fait), qui est par ailleurs non moins machiste que ses contemporains. Il est tourmenté par l'acte de son père (lié au massacre d'Hérode), il se cherche, il ne rejette pas le berger blasphémateur mais apprend en sa compagnie, il trouve refuge au près de Marie de Magdala, il tente d'aller à l'encontre de la volonté sanguine du Père.
Outre des blasphèmes par-ci par là par rapport au Fils, la position dépeinte du dieu chrétien aurait de même conduit ce prix Nobel au bûché, eut-il écrit cet évangile 400 ans plus tôt :
celui-ci veut étendre son influence sur le monde au détriment des autres dieux (qui existeraient donc) en s'alliant avec le diable et en se servant de Jésus comme marionnette.
Et oui, le Diable est dépeint ici comme le personnage le plus sympathique, comparé à un dieu capricieux et manipulateur et un Jésus parfois bon salaud (comme il traite sa famille, d'ailleurs assez malhonnête d'en vouloir à ces personnes de ne pas avoir cru en lui en ayant eu sa parole comme unique preuve de sa rencontre avec dieu, contrairement au peuple qui a pu observer ses miracles).
Le récit n'a cependant pas la parure d'une provocation - cherchant bassement à offusquer et à attirer - mais propose quelques thèmes comme la culpabilité ou la nécessité de la souffrance dans la religion. Le sacrifice de la croix y est ainsi sublimé car il résulte non pas d'une volonté abstraite (ceci est un avis personnel, je considère le "mort pour vos pêchés" comme quelque peu bancal) mais d'une initiative beaucoup plus concrète. Saramago fait résonner le récit au travers des dernières paroles du crucifié en leur donnant un sens tout autre (je crois, mais c'est un vague souvenir, que celles-ci ont fait/font réellement débat), concluant ainsi une narration parfaitement maîtrisée.