L'homme de l'ombre de Robert Harris
Ce roman a tout du thriller:suspens,peur,intrigues,rebondissements.Néanmoins,j'ai eu l'impression que l'écrivain se reposait plus la psychologie des personnages que sur l'enjeu de histoire en elle même.Robert Harris installe ses personnages dans une routine quotidienne pour mieux tromper et surprendre son lecteur pour le dénouement final.La lenteur du récit dans l'installation des différents personnages,intrigues contribuent à cet effet.On a l'impression d'assister à une histoire banale,un ex ministre(en quête de reconnaissance) veut écrire ses mémoires,quoi de plus courant.Même si au fil de l'histoire,des éléments vont contrecarrer l'atmosphère de départ,je n'ai jamais eu l'impression de lire un thriller ni même un roman policier.Ce livre est assez paradoxal au point de vue des sentiments qu'il suscite,je dirai qu'il est inqualifiable,il mêle plusieurs genres à la fois sans en ressembler à aucun.Ce qui confère à l'ensemble une atmosphère un peu bizarre,déjà dans la forme même du récit.
Le nègre est le narrateur ainsi le récit prend des allures de journal intime,de confessions sur sa collaboration avec Adam.Dés les premières lignes,on sent que l'affaire est louche mais le narrateur ne semble rien voir.D'ailleurs,il y a une certaine passivité dans son personnage même si de temps à autre,il se demande si tout cela n'est pas trop beau pour être vrai.Il prend les événements avec nonchalance et parfois il suscite l'incompréhension la plus totale chez son lecteur,comme lorsqu'il se fait agresser et ne porte pas plainte.Ce qui est intéressant dans son personnage c'est son métier qui fait habilement référence au titre de l'œuvre.Car il est évident que son métier est assez ingrat du fait que c'est lui l'écrivain mais c'est le ministre qui va en tirer tous les bénéfices et récolter tous les lauriers.Son personnage n'a rien de charismatique,c'est çà qui est assez désarmant au final.On aimerait bien le secouer de temps en temps et lui dire « prend des affaires et va t'en,tout çà c'est trop gros pour toi ».La fin est d'ailleurs assez prévisible mais sa déclaration posthume nous emmène à reconsidérer l'œuvre dans son intégralité .En opposition,Adam Lang lui vole la vedette,c'est bien vers lui que tout se concentre et converge.Il se révèle être un personnage plus attrayant et intéressant.Ancien ministre, il a du mal à ne plus vivre sous les feux des projecteurs, »l'anonymat »ne semble pas lui réussir et ce,malgré qu'une troupe de gens s'activent autour de lui pour lui rendre la vie plus facile.On sent bien ce charisme qui se dégage de lui ,à un point qu'on prend pour acquis tout ce qu'il dit.Cependant,on échappe pas à certaines vérités,si tout semble si maitrisé c'est pour mieux cacher l'envers du décor:sa maitresse et sa femme habitent sous le même toit d'où de fréquentes disputes,sa carrière de politicien l'oblige à avoir des gardes du corps 24h sur 24h,il ne connait même plus son numéro de compte bancaire,ses choix de politicien semblent le rattraper........Sa femme Ruth a renoncé à sa carrière pour l'aider à devenir premier ministre,c'est grâce à elle qu'il en est arrivé là.Plutôt discrète aux premiers abords,elle va se dévoiler bien plus dangereuse que son mari,à se demander qui tenait les ficelles du pouvoir lui ou elle?On voit finalement que le petit monde qui gravite autour de ce genre de célébrité,n'a rien d'enviable.Comme Emilia qui est à la fois assistante et maitresse d'Adam, est mariée mais voit très peu son mari.Elle ne porte même pas son alliance,elle sait très bien que son amant ne quittera jamais sa femme mais elle reste quant même.On a l'impression que le monde politique est un monde bien à part,aux règles propres et modulables et qu'un œil extérieur peut trouver çà très critiquable.Mais en même temps,il y a quant même une certaine fascination parce qu'il semble que ce monde soit en perpétuel mouvement,ébullition:les téléphones qui sonnent,les interviews,les protocoles,les stratégies et le pouvoir surtout,la soif du pouvoir.
Les lieux et l'ambiance participent à cet effet notamment la maison des Rinehart,en Nouvelle Angleterre.Le climat plutôt capricieux,fait penser à celui d'Angleterre:vent,brouillard,pluie donnant ainsi un sentiment de solitude et d'oppression à l'ensemble.Seule la maison se dresse contre ce climat hostile,elle fait barrage et fait office de forteresse pour Adam:alarme,gardes,grillages infranchissables....Pourtant c'est dans ce lieu si sécurisant plus précisément dans la penderie que le nègre va découvrir que son prédécesseur avait découvert des choses troublantes sur l'ex premier ministre.Et de là,va commencer son enquête.
Un autre point que j'ai trouvé très réaliste et représentatif des problèmes de notre société,c'est le fait de voir comment les stigmates du 11 septembre sont toujours aussi présents dans la mémoire collective.Je pense notamment à la scène où Rycart et le nègre sont dans la voiture,ce dernier constate avec une certaine tristesse l'absence écrasante des tours jumelles.Paradoxalement malgré l'absence on semble les voir comme un fantôme.Ou encore lorsque le nègre va rejoindre Rycart à l'hôtel,le pot d'échappement d'une moto éclate et tout le monde se retourne croyant à une nouvelle attaque terroriste.On voit également comment cette tragédie a affecté et influencé considérablement les politiques étrangères,par le biais d'Adam Lang.Ministre anglais,il a totalement soutenu et appuyé les américains dans l'enlisement de leurs soldats en Irak et Afghanistan.C'est tellement d'actualité que parfois on n'a même plus le sentiment d'être dans un livre mais dans la réalité.D'autant plus que les faits qui sont reprochés(kidnapping de présumés terroristes livrés ensuite à la CIA qui les ont torturé) à l'ex ministre,se sont passées réellement sous le gouvernement Bush.En effet,en 2008,le directeur de la CIA Michael Hayden avouait avoir utilisé le waterboading sur trois présumés terroristes irakiens.A l'époque,l'affaire avait fait scandale,le gouvernement américain avait même fait une loin interdisant ce genre de torture mais Bush a mis son veto.J'ai trouvé très intéressant que Robert Harris actualise son récit de la sorte et qu'il mette en avant les dérives de certaines politiques.
Comme je le disais plus haut,j'ai surtout eu l'impression de lire quelque chose de dramatique sous fond de scandale politique.Je n'ai pas trouvé de suspens,ni de peur,ni le rythme soutenu d'un thriller dans ce roman.Néanmoins,on est vite gagner par l'envie d'en savoir plus au fil des pages,le tout est plutôt bien écrit.