C'est le livre d'un fils, suite au décès accidentel, plus précisément violent et mystérieux de son père, et qui se retrouve seul pour accomplir les formalités convenues. Il va aussi enquêter, moins sur l'événement mais sur le parcours d'un père qu'on a eu l'habitude de visiter dans le dispositif des enfants de parents séparés.
L'Homme des bois de Pierric Bailly est le journal «intime» d'un fils qui retrace l'événement douloureux de la découverte du corps du père, jusqu'à la dispersion des cendres dans la rivière «juste derrière l'église».
Pris par la stupéfaction de la nouvelle et l'impossibilité de trouver d'autres explications, il finit par se conformer avec la décision de justice, le classement de l'affaire. Ce qui a été fait le soir même de la découverte du corps «mon père a été déclaré mort en forêt suite à une chute accidentelle».
A partir de cet instant, le narrateur va vivre intensément, peut-être comme jamais leur relation -leur histoire- ne l'avait permis.
C'est toute la discrétion de ce livre, mettre en mots, souvent avec humour, mettre en scène les séquences de vie, de la mémoire, des désirs, des attentes, des distances si souvent agissantes entre père et fils.
Ce père était un jeune à part dans le clan familial, un original disait-on, à l'écoute d'autres références que celles de sa famille nombreuse, il était disponible à vivre autrement. Il est devenu différent, pris d'autres voies professionnelles, personnelles, politiques. Et le fils va faire des liens, associer d'autres images, d'autres souvenirs, comprendre ce qui lui avait échappé ou plutôt ce qu'il avait compris différemment.
Il s'installe dans l'appartement paternelle, s'approprie de la voiture de son père, de ses chemins, de ses affaires, de ses pensées pendant ces quelques jours de démarches administratives, familiales, sociales.
Plus que jamais le père est présent dans ses engagements dans son choix professionnel, travailleur social, bien en phase avec son engagement politique, comme si l'un complétait l'autre. Sans diplômes mais avec une expérience de travail du bois, d'ouvrier, qui lui a permis de passer d'une maison de retraite à un institut de rééducation psychotérapeutique.
Mais quelque chose l'empêchait ou ce n'était pas présenté, l'accomplissement affectif. Papillonnant de cœur en cœur comme de formation en formation... Ses coups de colère, peut-être comme réponse à son mal vivre. Coup d'éclat fréquent comme finalement celui de sa disparition, celui qui lui fut fatal.
Chute en cueillant des champignons, un coin à morilles, mais il n'était pas chaussé pour, ras-le-bol de ce qu'il vivait au boulot, alors qu'il était si près du but, dans trois mois la quille qu'il espérait tant! Impatient sans doute, ne supportant plus, peut-être, mais quoi? Et ces trois mois, pourquoi faire?
J'ai souvent été ému en faisant connaissance avec l'homme des bois. Je me suis vu père, je me suis senti fils sans savoir à quel moment plutôt l'un que l'autre. Le parcours du père, dont j'ai trouvé des raccourcis qui pouvaient m'appartenir, m'ont en effet questionné, et après? Que transmettre, lui qui gardait tout et bien classé, quelle mission et quelle attente, quand il ne sert plus à rien d'attendre puisque c'est fini?
J'avais envie d'écrire un mot sur ce livre, de le faire connaître. Pas pour le deuil du père mais pour saluer sa présence à travers le fils. Pour partager avec ceux dont j'aurais la chance de me lire. Je me disais aussi, on écrit déjà beaucoup sur «le père, quand il n'est plus là», à quoi bon un de plus? J'ai alors pensé ou plutôt il m'est venu en mémoire un autre livre lu il y a longtemps,et que j'ai également beaucoup apprécié: Les jours père, de Jean-Claude Tardif
https://blogs.mediapart.fr/arthur-porto/blog/130817/lhomme-des-bois-et-les-peres