Si des mémoires ont pour seul but de présenter l'auteur par sa propre plume, L'Homme foudroyé est le recueil de petites mémoires, l'autobiographie de petits papiers, la meilleure jamais lue.
Blaise Cendrars, homme éperdu de foi et de voyages, se présente sans se présenter grâce à l'écriture, ce fléau sur lequel il est tombé, écrivant sur rien d'autre que l'action d'écrire - tandis qu'il écrit dans le froid et l'exultation d'avoir perdu tous ses papiers, après le pillage de sa maison : il s'effondra avant de se rendre compte, l'amertume de voir les pages s'envoler passée, de parvenir à la libération du poids des lettres… et d'écrire :
Et alors, j'ai pris feu dans ma solitude car écrire c'est se consumer…
Cendrars écrit ses expériences, ses anecdotes, ses rencontres, se faisant voyageur, poète, cinéaste, grand reporter, dans cette impression constante qu'il divague sur ses propres lettres ; seulement, sous tous ces points, il y a un contrepoint, et c'est l'idée fixe. Celle de l'écrivain, partout où il passe, elle est là ; celle qui permet à ce livre obscur de trouver sa clarté. L'énigme, et son avalanche de questions, est le moteur qui alimente la réflexion de l'auteur ; son impression que tout reste à découvrir, que tout reste à chercher, que tout ne peut se dévoiler au coeur du monde.
Tout est rentré sous terre, tout est enseveli.
Cendrars parcourt le monde, comme l'espace et le temps ; nous sommes ballotés entre le Brésil, Paris, Marseille et la Grande Guerre, les Années Folles… Les milieux décrits s'en vont à la chaîne, une grande chaîne mythologique pleine de motifs ; Cendrars raconte - il observe, lit et se fait ethnographe, s'épanche longuement sur les mœurs gitanes, brésiliennes, parisiennes, sur les artistes, les écrivains et les peintres. L'énumération est constante chez lui, c'est l'accumulation des rencontres, l'effusion des sensations qui s'expriment ; avec la conviction que le mystère, invincible, rôde quelque part. Sauf que les clefs, délivrant des interprétations et des écrits, sont jetées aux océans, ainsi les lettres créeraient à l'infini des portes et des serrures. Nous cherchons l'inconnu dans les abysses.
Le monde entier est toujours là.
Cendrars est avant tout un poète, un chantre de la modernité et un Bänkelsänger, composant ce livre comme une musique mystérieuse, qui pensait : "On n'écrit que soi." Et il représentait son monde. Le monde de l'homme foudroyé, ce religiosus, cet homme frappé par la mort, qui se rechercha une identité après la grande peur ; un homme qui s'enferma dans son monde, après l'avoir bâti, et se voua à la solitude, recherchant la contemplation - cette solitude dans laquelle on tombe, quelque part, avec quelqu'un, dans le coup de foudre :
Je te retrouverai dans l'abîme de lumière.
Mais toujours partir, tel est le verbe du vagabond.