J’ai une relation particulière avec Frédéric Beigbeder. Je l’ai découvert dans mon adolescence, à la télé. J'aimais son émission consacrée au cinéma sur canal +, le Cercle. Puis j’ai découvert sa toxicomanie et étant un garçon raisonnable, j’ai toujours su que la drogue, c’était pas bien. Et donc, je n’admettais pas qu’un toxicomane notoire puisse apparaître comme cela à la télévision. Pour ne rien arranger, j’étais parti voir 99F au cinéma avec mon crush du lycée, et le film de Jan Kounen était tellement du n’importe quoi que j’en ai ressenti une grande rancœur envers l’auteur. D’autant plus que j’avais vécu une expérience tout aussi désastreuse au cinéma avec Bluberry du même Kounen.
Puis il y a eu L’Amour dure trois ans, que Beigbeder a adapté lui-même au cinéma. Et ça, j’ai adoré, surtout Gaspard Proust dans le rôle titre.
Après cela, Frédéric Beigbeder a débarqué dans la matinale de France Inter. Et il a recommencé à me consterner jusqu’à ce qu’il se fasse éjecter de sa chronique hebdomadaire du jeudi, après être venu en direct à l’antenne les mains dans les poches. Cette chronique foirée, c’est la genèse de ce livre, qui est le troisième épisode des aventures d’Octave Parango, son personnage fétiche et presque avatar.
Une chose à savoir sur la matinale de France Inter, c’est qu’elle est la plus écoutée de France. Mais en plus de cela, c’est celle que tout le monde va conseiller dans le supérieur si on veut être en mesure de réussir les concours d’entrée à Sciences Po, l’ENA, l’ENM, et ainsi bien partir dans la vie pour devenir maître du monde. C’est une idée bien ancrée dans la tête des enseignants qu’il faut écouter la matinale d’Inter pour réussir sa vie. C’est pour ça que cela choque quand un personnage fantasque comme Beigbeder y tient une chronique. Pourtant, il n’y a aucune raison d’être choqué. Une personne de bon goût nous dira qu’il faut écouter Culture le matin. Et puis moi-même, même si je suis passé à la radio publique le matin pour les raisons que j’évoque plus haut, je dois avouer que j’étais plus heureux à l’époque où j’écoutais RTL le matin, ou à la limite lorsque je pouvais encore profiter de la voix de Saskia de Ville le matin sur Musique.
Beigbeder règle ses compte avec ses collègues d’Inter dans ce livre. Cela ne fait aucun doute. Même s’il n’utilise pas leurs vrais noms. Mais l’usage de noms inventés suffisamment rapprochés de la réalité occasionne une sorte de jeu où selon son degré de connaissance de la grille d’inter, on trouve plus ou moins rapidement de qui il s’agit. Ceux qui en prennent le plus pour leur grade, ce sont le froid Nicolas Demorand et surtout les humoristes belges, Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek. Il y a bien évidemment quelques passages jubilatoires parfaitement fielleux qui ne manqueront pas d’apporter de la jouissance aux personnes qui déplorent la dérive gauchisante d’Inter.
Mais ce livre n’est pas que cela. Bien au contraire. C’est aussi une longue réflexion sur la place du rire à notre époque. Sur la façon que nous avons de tout tourner en dérision. Une injonction du rire, de la part de pitres bien pensants qui se croient subversifs, qui se pensent dans le camp du bien (l’extrême gauche anticapitaliste) et qui déversent quotidiennement ses leçons sur les ondes. Beigbeder met cela en parallèle avec le mouvement des gilets jaunes qui voit des personnes bien moins insérées dans la vie que les donneurs de leçon du PAF et qui semblent mener un mouvement plus radical, efficace, et proche des préoccupations des personnes modestes. Il en ressort un récit où l’on constate que ceux qui se pensent subversifs à la radio ne sont que les bourgeois à abattre pour ceux qui manifestent dans la rue. Ce qui n’est d’ailleurs pas loin de la réalité. En cas de révolution marxiste, ces gens bien portants des médias ne pourraient pas échapper à un processus de rééducation, même s’ils prônent quotidiennement la mort du capitalisme. Ils n’en sont pas moins des bourgeois.
Beigbeder ne veut plus rire à la radio mais ne rit pas non plus dans sa vie. Lui, le mâle blanc cis-hétéro. A savoir le Némésis actuel de tout bon SJW qui se respecte. La seule personne dont on ne soucie absolument plus de ce qu’elle peut ressentir. Ce livre nous permet de savoir ce que le mal blanc cis hétéro peut ressentir justement. Comment est-il encore possible de séduire une femme à l’époque de #MeToo « Le mouvement #MeToo a considérablement rallongé le délai entre la rencontre et la pénétration. »
Comment vieillir et se rendre compte qu’on n’a plus vingt ans ? Comme s’autoriser le bonheur lorsqu’on a des questionnement existentiels incessants. « Je me déteste tellement que je suis obligé de prendre un viagra pour me branler. »
C’est également une réflexion sur la société en général, emplie de références littéraires que je n’avais pas forcément. Mais les passages explicites où Beigbeder évoque l’Homme qui rit de Hugo, ça, j’ai percuté. Le rire perpétuel sur le visage de Gwynplaine, le rire perpétuel du Joker inspiré de ce dernier. Mais justement, en approfondissant l’homme qui rit, on se rend compte que le héros a été mutilé enfant afin qu’il ne puisse pas hériter de son titre de noblesse. Et que une fois redevenu lord, il livre un fameux discours à la chambre des dits lords où il pointe les inégalités sociales. Mais plus subtile référence à l’homme qui rit, le personnage de Dea, danseuse au Crazy Horse, qu’Octave convoite. Dea est le nom de la compagne de Gwynplaine chez Hugo. Elle est aveugle mais voit la beauté intérieur du héros. La Déa de Beigbeder, elle, voit clair sur la société et amène Octave à prendre conscience de son bonheur au fond. Qu’est-ce qu’une chronique à la radio finalement ? Pas grand chose si on n’a pas de message à délivrer. Beigbeder parvient enfin ici à délivrer son message à la France. Sans passer par la matinale la plus écoutée cette fois-ci.