L'Identité
7.1
L'Identité

livre de Milan Kundera (1998)

Décortiquer l’identité en surface

Cet ouvrage nous emmène dans un questionnement de l’identité à travers la vie quotidienne d’un couple qui ne se comprend plus, Jean Marc et Chantal. D’une part, l’identité de Chantal est non seulement remise en cause par elle-même, mais également par son compagnon : « Confondre l’apparence physique de l’aimée avec celle d’une autre. Combien de fois il a déjà vécu cela ! Toujours avec le même étonnement : la différence entre elle et les autres est-elle donc si infime ? Comment se peut-il qu’il ne sache pas reconnaître la silhouette de l’être le plus aimé, de l’être qu’il tient pour incomparable ? ». Le premier axe de réflexion se situe donc dans le lien entre corps et identité. Le corps reflète-t-il l’identité profonde d’un individu ?

Le rapport au corps joue un rôle crucial dans l’humanité, dans notre « moi », puisque seuls les hommes voient qu’ils sont nus. (Merleau-Ponty, La Structure du comportement). On retrouve alors le lien symbolique qui unit la pensée humaine et le corps humain. Avec la conscience l’homme découvre sa nudité et lui donne des significations ; tout d’abord psychologique (être un homme ou une femme), une signification érotique (le corps est objet de plaisir), une dimension morale (des interdits seront fixés pour contenir les désirs du corps) et même une signification sociale, ou encore une signification médicale. Le corps modifie le rapport de l’individu avec lui-même mais aussi avec les autres. Le corps représente le réceptacle de l’identité personnelle : « avoir honte de son corps, c’est avoir honte de soi-même » (Antoine Prost, Le corps épanoui). Par définition, le corps est honteux, secret, intime, car il est « si lamentablement impersonnel » (p.106), de cette manière Jean-Marc n’en veut pas à Chantal de ressentir du désir pour quelqu’un d’autre que lui : « Ils ont tous les deux un corps où la pauvre âme a si peu de place. Ne devraient-ils pas se le pardonner ? » (p.107). Chantal dit également « Notre sexualité précède donc notre conscience de nous-même » (p.61).

D’autre part, ce roman soulève la question de la variation de l’identité face à l’autre. L’homme, animal politique au sens d’Aristote, ne peut pas se dénuer de société. Tout homme a une individualité, une identité unique par son environnement social, familial ou culturel. Quel rôle les autres ont-ils dans mon identité ? Comment Chantal peut-elle savoir qui elle est, si elle se perçoit constamment à travers le regard de Jean-Marc ? Au sens de Schopenhauer, « il vaut mieux se retrouver avec l’autre, peu importe qui, pour nous distraire et nous empêcher d’être face à nous-même. » : si la solitude permet alors à Chantal d’accéder à son identité profonde, la présence de Jean-Marc lui en empêche. Le premier élément qui permet à Chantal de s’en détacher, c’est la lettre qu’elle reçoit d’un inconnu. C’est à partir de ce moment qu’elle remet en cause sa relation avec Jean-Marc et qu’elle questionne de plus en plus son individualité, mais paradoxalement, elle change seulement le miroir dans lequel elle se voit : ce n’est plus Jean-Marc mais l’inconnu de la lettre. Elle adapte son comportement, ses habitudes, et même ses vêtements (la chemise rouge). Chantal pense accéder à son « moi » le plus profond alors que son individualité est toujours soumise au regard, au jugement de l’autre. Son image d’elle-même est d’autant plus troublée quand elle se rend compte que l’auteur de ces lettres pourrait être un mendiant : « Je suis devenue l’idole érotique d’un mendiant. Voilà un honneur bien bouffon. » (p.86), ce qui nous montre bien à quel point le jugement de l’autre, et même sa place dans la société, modifie la façon dont on se conçoit dans le monde. Elle se remettra ensuite en question « Et pourquoi les désirs d’un mendiant seraient-il moins respectables que ceux d’un homme d’affaires ? ».

La variation de l’identité s’inscrit également selon des facteurs (temps ou l’environnement par exemple). Notre identité nous suit-elle tout au long de notre vie, ou fluctue-t-elle en fonction d’une période donnée ? Peut-elle mourir et renaître ? L’un des éléments qui m’a marqué, c’est lorsque Chantal évoque la perte de son enfant, et qu’elle se rend compte qu’elle ne serait pas la personne qu’elle est si cet enfant était toujours vivant : « C’est précisément parce que je t’ai aimé que je n’aurais pu devenir celle que je suis si tu étais toujours là. Il est impossible d’avoir un enfant et de mépriser le monde tel qu’il est, parce que c’est dans ce monde que nous l’avons envoyé. » (p.63). Contrairement à Schopenhauer, qui pense que nous sacrifions notre individualité à la société, on se rend compte à travers Chantal que la solitude a un sens seulement car les autres existent.

On peut convenir que l’on peut s’évader de soi-même en échappant à la solitude ainsi qu’en laissant les autres décider de qui nous sommes puisque leur regard et leur jugement constitue en partie qui nous sommes. Cependant, même si Chantal a besoin de s’isoler pour se connaître, elle en est incapable car le regard de l’autre ne lui fait pas prendre du recul. L’homme doit alors savoir-faire l’arbitrage entre la solitude, et donc qui suis-je selon moi, et entre la vie en communauté, donc qui suis-je selon les autres (question de l’identité au sens individuel et au sens collectif).

Ce roman décortique alors les vecteurs de l’identité à travers le couple de Chantal et Jean-Marc. Il ne s’y passe pas grand-chose et traite le sujet de l’identité en surface, mais c’est intéressant de l’analyser. Et Kundera l’admet, il y a « une différence entre la façon de penser d’un philosophe et celle d’un romancier ». En effet, je suis globalement déçue par la longueur du roman et par la lenteur par laquelle la réflexion s’exécute. L’auteur propose des axes de réflexions à travers des situations concrètes, mais il n’y a pas de construction d’une analyse philosophique pertinente. Je reprends alors Geoffroy De Lasganerie : « Quand on veut lire des phrases banales on lit Kundera » et je vous laisse en juger.

Lou3876
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le 21 juil. 2024

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Lou G

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