A la fin de ce bref ouvrage, Antoine Gallimard, dirigeant actuel du groupe d'édition éponyme et héritier de la dynastie du même nom, indique se placer dans le sillage des Tracts des années 1930, manifestes politiques qui ont vu s'illustrer de grands auteurs, tels qu'André Gide, Thomas Mann ou Jean Giono. L'intention est louable, et sans doute y a-t-il certains exemplaires récemment sortis qui sont dignes d'intérêt (je l'espère en tout cas). En l'occurrence, étant donné qu'on a les dirigeants mais sans doute aussi les intellectuels qu'on mérite, je ne suis pas sûr que cet essai d'Olivier Rey fasse date, bien au contraire...


Pourtant je partais avec un a priori plutôt sympathique envers Olivier Rey. Cela fait très longtemps que j’ai envie de lire un de ses livres, et plusieurs d’entre eux attendent sagement dans ma bibliothèque. Je l’ai trouvé très bon quand il a été opposé à Laurent Alexandre dans l’émission Répliques de Finkielkraut (cf. ma critique du bouquin de ce savant fou ici), pourfendant avec raison – et talent – le transhumanisme prôné par Monsieur Alexandre.


Avec « L’idolâtrie de la vie », je tenais ma porte d’entrée pour les écrits d’Olivier Rey. Un opuscule court (pas vraiment un livre vu sa brièveté et la qualité très moyenne du papier – c’est un tract ou ça n’en est pas un !), qui semblait tomber à point nommé : inciter à réfléchir sur ce tsunami qu’a été la crise du Covid-19. Mais premier hic : le quatrième de couverture. Un résumé sur un ton très péremptoire qui laissait présager bien des raccourcis de pensée… Mais aussi la date de la fin de sa rédaction et de sa publication : juin 2020. Soit en plein milieu de la crise… Je défie quiconque dans le monde, à cette période, d’avoir un avis définitif et implacable sur le sujet…


Or chaque crise étant source d’opportunité (paraît-il), l’épidémie de Covid a poussé tout un chacun à écrire son livre sur le sujet (ou pire, à publier sa vidéo YouTube ou TikTok…), trahissant un manque d’humilité certain – et une avidité certaine ? – car qui peut s’enorgueillir de pouvoir dresser un bilan juste et complet de la situation en 2020, en plein cœur de la pandémie ?


Manifestement pas Olivier Rey. Oh il s’agit d’un penseur et d’un esprit brillant et érudit, c’est certain. D’ailleurs, même si son tract m’a vraiment déçu, je conserve tout de même de la sympathie pour lui et je sais que certaines de ses analyses sont très pertinentes, il y en a d’ailleurs quelques-unes dans ce bouquin.


Mais certains des raccourcis qu’il opère m’ont sidéré. Il fait même à plusieurs reprises preuve de sophisme, un terme dont je n’aurais jamais pensé l’affubler un jour... Par exemple, lorsqu’il indique que pendant la pandémie, le service rendu au mort a été plus que limité, il compare cette situation à l’honneur rendu aux morts tombés au combat du temps de la Grèce Antique. Un peu plus et il nous ressortait « Antigone » de Sophocle, des trémolos dans la voix (extraordinaire chef-d’œuvre au demeurant).


Mais il compare des choses absolument incomparables ! Déjà, considérons la distance qui nous sépare en termes de temps et de mentalité des contemporains de Thucydide ! Et pourquoi ne pas comparer plutôt la situation en tant de Covid aux épidémies massives telles que la Peste Noire ou plus proche de nous la Grippe espagnole ? Est-ce que dans ces périodes on installait les malades ou les morts à la maison en veillant des jours entiers auprès d’eux ? A plus forte raison s’ils étaient contaminés ? Il m’est avis qu’en observant attentivement la situation lors de la Grippe espagnole, il y a pas mal d’arguments d’Olivier Rey qui se dégonfleraient d’eux-mêmes…


Alors oui, c’est sûr qu’en comparaison, la Grèce Antique et son honneur plein de lustre c’est bien plus glorieux ! Dommage que plusieurs comparaisons hâtives et plusieurs jugements sentencieux de cet acabit polluent cet ouvrage… Dommage aussi que le tout soit aussi confus, Olivier Rey passant régulièrement du coq à l’âne et tentant des grands écarts intellectuels qui peinent à convaincre.


Sa démonstration sur les attentes démesurées des citoyens face à l’État et aux grands domaines qu’il administre, tels que la Santé, l’Éducation, ou encore la Justice, est très intéressante et plutôt bien menée. Mais après il trébuche sur la notion de Progrès, se lançant dans une diatribe anti-technologique que je trouve forcenée (même si pertinente sur certains points). Il est évident que c’est un disciple d’Ivan Illitch, un penseur lui aussi brillant mais que je trouve beaucoup plus discutable qu’on ne le laisse penser aujourd’hui…


En bref, il y a à boire et à manger dans ce livre, du bon et du beaucoup moins bon. Je ne tiens pas à en faire un résumé ou un contre-argumentaire point par point. Je tiens juste à exprimer ma profonde déception qu’un intellectuel tout de même courageux et intéressant (il me semble) comme Olivier Rey se soit abaissé à sortir à la va-vite un essai dans l’air du temps qui n’apporte strictement rien, ou si peu, au débat. Ce qui confirme la prudence qui devrait être de mise chez tous les personnages publics lorsqu’ils prennent la parole sur une crise aussi complexe que celle du Covid-19, ou toute autre crise – ou sujet – d’ailleurs. Mais ça n’a pas l’air d’être une source de tracas pour ce genre de personnes...

ArthurDebussy
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le 13 août 2022

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Arthur Debussy

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