Enfin, j'ai lu la Bhagavad Gita. Le « Chant du Bienheureux ». Lorsque l'on s'intéresse à l'hindouisme, ou même plus généralement à la spiritualité, c'est un passage obligatoire, une initiation littéraire aussi indispensable au chercheur de Vérité que la lecture de Platon pour qui s'intéresse à la philosophie grecque. Et plus encore... Coeur du Mahabarata, le poème épique élevé au rang de chef-d’œuvre de la littérature mondiale, la Bhagavad Gita est censée être l'abrégé de toute la pensée spirituelle indienne, le texte qui vous donne directement les clés de la révélation. Du moins, c'est parfois ainsi qu'il est présenté. Je nuancerai cette croyance fébrile.


Effectivement, la Bhagavad Gita est autosuffisante. L'enseignement délivré est délimité par ce dialogue entre Arjuna, le prince guerrier, et Krishna, son cocher, qui va se révéler être l'incarnation (l'avatar) du Seigneur Suprème. Une sorte de pause méditative avant une guerre totale qui est contée dans le Mahabaratha. Or, la connaissance de ce dernier est loin d'être inutile pour saisir tous les enjeux d'un dialogue qui ne peut être totalement vu comme une abstraction métaphorique. Certes, Arjuna est l'Homme qui hésite au coeur de l'action, et Krishna la Conscience qui s'exprime au fond de notre âme... Mais ces personnages sont mis en scène, considérés comme réels et participent pleinement à une histoire qui est considérée comme connue par celui qui entreprend de lire ce texte. Encore plus fort: c'est la culture indienne dans sa globalité qui doit être connue pour bien saisir les implications de ce drame cosmique. Si Krishna exhorte Arjuna à combattre, c'est parce que ce dernier fait partie de la caste des kshatriya, les guerriers, et son enseignement vient compléter celui des Veda (la « Bible » hindoue) un peu comme celui du Christ venait compléter la Loi de Moïse.


Tout ceci pour bien vous faire comprendre que la Bhagavad Gita n'est pas un texte aussi accessible qu'on voudrait nous le faire croire. Bien sûr, dans les publications modernes, elle est souvent accompagnée de commentaires, commentaires qui sont eux aussi souvent le fruit de sous-traditions hindoues (particulièrement le Vedanta) qu'il faudrait également connaitre, dans l'idéal. J'ai pour ma part opté pour un texte dépourvu de tout commentaire, permettant une lecture directe du poème sans être interrompu à chaque paragraphe. C'est la traduction de Alain Porte: http://www.amazon.fr/La-Bhagavad-G%C3%AEt%C3%A2-Alain-Porte/dp/2869592418


Le texte m'a fasciné, dans son début, impressionné dans son milieu et un peu déçu dans sa conclusion. Le début expose véritablement la doctrine de Krishna, ce qu'il faudrait retenir du texte: la triple voie (ou triple yoga). La voie de la connaissance (l'Etre Absolu, Dieu, est en toute chose, les différentes formes ne sont qu'illusions), la voie de l'action (sachant cela, il faut toujours agir sans rien attendre, sans calcul, sans jamais espérer de bénéfice, uniquement au nom de l'Absolu et de l'Harmonie) et la voie de l'adoration (pour s'aider dans cette tâche, le croyant peut adorer Krishna comme le Chrétien adore le Christ, Krishna étant considéré dans ce texte comme une manifestation tangible de l'Absolu normalement intangible). Ces premiers chapitres sont fascinants, empreints d'une vérité qui sonne comme une évidence. Au fur et à mesure de la lecture, on se laisse entrainer par le rythme d'une sagesse apaisante comme on en trouve dans très peu de textes.


Le milieu est assez « terrifiant ». Krishna n'y apparait plus comme un gentil hippie mais rappelle que, en tant que représentation de la Totalité de l'Univers, il est aussi la Mort elle-même, le destructeur de mondes (le fameux passage que cita Oppenheimer, le « père » de la bombe atomique). J'étais tellement pris dans ma lecture à ce stade que ce passage m'a mis assez mal à l'aise. J'ai été aussi touché par le non-manichéisme du texte, qui ne cherche pas absolument à caresser le lecteur dans le sens du poil... La (longue) conclusion, enfin, est assez décevante, en ce sens où on répète maintes fois certaines indications qui finissent par perdre de leur substance et où on se perd dans des détails tout simplement inutiles.


Texte court, la Bhagavad Gita se révèle donc par moment paradoxalement presque trop longue. Qu'à cela ne tienne, le coeur de son enseignement est véritablement magnifique, et peut aider à peu près n'importe qui à poser un regard différent sur le monde et l'humanité. A lire absolument une fois dans sa vie, à condition d'être déjà un minimum ouvert à la culture indienne et à sa façon de parler de Dieu, à la fois si différente et si proche des religions abrahamiques...

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le 25 juin 2014

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Amrit

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