Entre Tchekhov et moi, c'est décidé, le divorce est définitivement consommé. La cerisaie était la seule pièce de la "tétralogie" (avec La mouette, Oncle Vania et Les trois sœurs) que je n'avais pas encore lue. Maintenant que c'est fait, et bien fait, le diagnostic est, je le crains, sans appel. Je l'ai même lue deux fois pour arriver à mettre clairement le doigt sur ce qui me dérangeait. La pièce a beau être courte, c'est dire le mal qu'elle m'a donné. Je suis à peu près certaine que la tradition du jeu français héritée de Stanislavski, un jeu emphatique, morne, qui met uniquement l'accent sur le tragique, a bien aidé à me dégoûter de Tchekhov. A dix-huit ans, je trouvais ça terriblement séduisant. Aujourd'hui, ça me fatigue. Mais je vois bien, à relire l'auteur de plus près, qu'on ne peut pas imputer mon peu d'enthousiasme aux seules mises en scènes.
Pourtant, je reconnais volontiers que La cerisaie brasse une thématique et un réseau de motifs intéressants. De même que je reconnais que Tchekhov a innové dans le langage théâtral, dans la création de ses personnages, et, plus simplement, dans l'approche du théâtre. La cerisaie, c'est d'abord la fin d'un monde, celui d'une élite sociale oisive, ce qui est appuyé par de nombreuses allusions continuelles à des spectres. C'est aussi le retour fugace au monde de l'enfance (la chambre d'enfants, la voix d'enfant de Gaev, les sucreries, etc.). Surtout, c'est le lieu des rendez-vous manqués et de l'impossibilité de communiquer : on manque deux trains, on organise le bal au mauvais moment, les histoires d'amours sont des ratages complets, chacun courant après l'autre qui lui-même court après un autre (motif récurrent chez Tchekhov). Et tous ces gens parlent sans s'écouter ; il n'est pas rare que la série de répliques d'un personnage retombent dans le vide, tandis que l'interlocuteur censé lui répondre parle uniquement pour lui-même. La cerisaie est le lieu d'un perpétuel décalage, comme le montre la façon dont les personnages passent du rire aux larmes, et inversement. Et le lieu d'un échec vers lequel s'est dirigée toute sa vie et de toutes ses forces Lioubov Andreevna Ranevskaïa.
Mais tout cela ne me touche pas, sans doute pour des raisons formelles. Pour commencer, je n'arrive pas à percevoir le côté vaudeville que Tchekhov prétendait impulser à sa pièce (et que Stanislavski, encore lui, a proprement foulé aux pieds). Bon, oui, les personnages et les situations donnent plus ou moins dans le ridicule, comme Epikhodov parlant d'aller se tuer d'un coup de fusil (allusion ironique à La mouette, j'imagine). Pourtant, rien à faire, ça ne me fait pas rire, et ça m'arrache rarement un sourire. Le fait est que les changements d'humeur des personnages me portent plus sur les nefs qu'autre chose. Et je crois que je suis finalement complètement insensible à l'aspect novateur du théâtre de Tchekhov, qui se trouve dans une sorte d'entre-deux : ce n’est plus le théâtre d'Ibsen, ce n’est pas encore celui de Beckett. Et bon, pas de chance pour Tchekhov, mais je préfère le XIXème d'Ibsen avec ses personnages en quête d'identité et de liberté, et le XXème absurde de Beckett.
NB : Le titre de ma critique est une citation de la pièce.