Christophe Leclaire, l’auteur d’Insolvables ! (Flammarion 2011), vit, selon sa biographie officielle, dans la clandestinité, quelque part en Asie, comme une sorte de routard sexagénaire sans papiers recueilli par les bras de la mère de tous les fleuves, le Mékong, qui déroule ses méandres entre Thaïlande, Laos, Cambodge pour finir par se métamorphoser en dragons au sud du Vietnam.
Le départ d’Europe, après sa faillite personnelle, une des catastrophes naturelles inhérentes au capitalisme sans vergogne qui y règne entraînant toujours plus de gens dans la précarité, la misère et l’exclusion constitue la fin de sa soumission à la vacuité mercantile érigée en modèle de société et le début d’un voyage vers lui-même.
« Prendre conscience que l’on est insolvable dans un système où tout n’existe que par l’argent et pour l’agent… J’avais définitivement perdu la foi dans cette société de consommation et d’exploitation toujours plus mortifère…, celles et ceux qui, un jour, comme moi, par la faute d’une injustice, d’un vice, d’une naïveté, d’un piège patronal, marital ou bancaire, d’une audace ou d’un accident, s’en étaient retrouvés exclus ».
Là-bas, il réapprend l’amour, l’autre, se réapproprie sa conscience humaine, héritage immémorial de l’espèce enfoui sous les chimères du veau d’or triomphant, qui en se réveillant commande de concert le retour de la pensée politique.
Elle guide sa plume dans la Charité des Prédateurs (les impressions nouvelles 2013) ouvrage dans lequel il tire l’Abbé Pierre, confesseur tutélaire de ses angoisses existentielles adolescentes, d’un repos céleste, pour rétablir un lien épistolaire avec celui qui fut le précurseur de la lutte contre l’exclusion et la pauvreté en France.
Il lui adresse sa philippique contre le libéralisme, vampire assoiffé de croissance qui aspire toutes les richesses jusqu’à laisser ses victimes, survivantes, mais, exsangues, pales citoyens dénués de velléités rebelles sous la scansion anesthésiante du « toujours plus ».
Ce monstre détruit tout. La planète, l’humanité, tout ce qui se met en travers de sa route. Soutenu par une armée d’affidés ultras minoritaires, ivres de productivité et de pouvoir, il semble inébranlable.
Ce monstre pervertit tout. Les hommes, leurs idées, les âmes charitables et leurs louables intentions. Il récupère leur bonne conscience et en fait des concepts marketing affichés par les conglomérats marchands en étendard déculpabilisant pour le consommateur. Il transforme leur volonté secourable en alibi.
Et l’auteur d’interpeller l’Abbé sur les dérives de la communauté Emmaüs, sur celles de toutes les organisations humanitaires, caritatives ou solidaires. Il dénonce sans compassion aucune, ces excroissances malignes du capitalisme regroupées sous le terme de Charity Business dont le fonctionnement au sommet de la pyramide ressemble étrangement à celui des multinationales.
Son réquisitoire contre ceux qui font de la misère, un marché lucratif, un créneau porteur, est illustré d’exemples. « Et le marché du pauvre, mon cher Henri, deviendra pour les riches encore plus lucratif. ». Il puise ici et là dans les témoignages d’anciens compagnons d’Emmaüs, dans les thèmes défendus par ATTAC, les altermondialistes ou les tenants de la décroissance.
On peut comprendre cette charge, voire s’étonner qu’elle ne soit pas plus violente après le drame vécu et dévoilé pudiquement à la fin de sa missive dont la responsabilité incombe aux démons que Christophe Leclaire pourfend d’un verbe, précis et vindicatif. « Les prédateurs…, ceux qui sont costumés dans la charité et dans l’humanitaire…, avec d’innovantes tirelires maquillées en trousses de secours. »
Sa lettre est bien plus qu’une compilation de remugles d’amertume égoïste, elle révèle un souhait de rejoindre la cohorte des veilleurs, des “lanceurs d’alerte” dans lesquels, il inclue Julian Assange, Bradley Manning, Edward Snowden ou encore Anonymous, Femen et OffshoreLeaks, tous ceux qui connaissent “l’envers du décor et ses artifices”.
Lucide, il doute fort d’échapper à la malédiction de Cassandre et accueille un rien désabusé, la perspective de ne pas se faire entendre. Malgré sa foi en l’homme, il ne croit guère à la possibilité d’un changement profond, sauf sous l’impact de catastrophes majeures qu’il annonce inéluctables. La sienne valide la théorie, elle l’a transformé.
Alors, en attendant cette Apocalypse, qui verra la fin du monde capitaliste tel que nous le connaissons, il faut continuer à vivre, à rêver, à aimer….L’amour est la seule fondation sur laquelle l’avenir devrait se bâtir.
Et, si d’ici là, des milliers de bénévoles, partout sur la planète, loin des appareils et des états-majors, soulagent un peu de la souffrance humaine par leur présence quotidienne au plus près des damnés de la terre, la lueur d’espoir qui donna naissance à la cause humanitaire ou sociale poursuivra sans vaciller son œuvre interminable : éclairer la noirceur. Qui s’en plaindra ?
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le 2 avr. 2014

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