Mélancoliques mimoïdes
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Aaaaaaaaaaahhhh !!! Depuis le temps que j'attendais une nouvelle traduction des nouvelles d'Edgar Poe, qui nous libérerait de l'insupportable chape baudelairienne !!! Voilà qui est enfin mis en route, grâce aux éditions Gallmeister. Non pas que les traductions de Baudelaire furent complètement fantaisistes, ni de complètes trahisons, mais on sait qu'il a eu tendance à emmener Poe du côté qu'il lui seyait, bref, de donner une tonalité à Poe qui se mariait parfaitement à sa propre vision de l'auteur et à sa propre littérature... baudelairienne, forcément. Et pas seulement par le biais des traductions, mais aussi par le choix des textes présentés au public français. Car Baudelaire, premièrement, n'a pas traduit toutes les nouvelles de Poe, mais, deuxièmement, les a réunies en des recueils que les Français croient souvent relever du choix d'Edgar Poe... ce qui n'est absolument pas le cas. Depuis longtemps, je me disais que le Poe vu côté français n'avait pas grand-chose à voir avec le Poe des Américains, et j'étais prête à me lancer dans l'intégrale en version originale pour en finir avec Baudelaire... sauf que mon américain est encore pire que mon anglais - mon anglais se limitant à Agatha Christie et Harry Potter, sauf en cas de varicelle, où je deviens, ou ai l'illusion de devenir, sous l'effet de la fièvre, une pro de la langue shakespearienne le temps de la maladie. Mais d'une part, je n'attrape pas souvent la varicelle, et d'autre part, voilà qui vous informe assez bien de mon niveau en américain.
Donc merci à Gallmeister, qui publie une intégrale des nouvelles de Poe (il ne me semble pas que les poème soient inclus, mais je peux me tromper) depuis 2018 et jusqu’en 2020, en trois tomes. Ce qui posera certainement question, en revanche, aux habitués de Gallmeister, c'est le pourquoi de la chose. On les connaît pour leurs textes de nature writing, qui constituent la raison même de la fondation de la maison ; pour leurs polars ; plus récemment, pour leurs textes intimistes. Les uns n'excluant pas les autres. Mais le catalogue est très majoritairement constitué de titres d'auteurs contemporains, Fenimore Cooper et Thoreau faisant en gros exception à la règle, pour le motif simple qu'ils sont à la source du nature writing. Que fait donc Poe au milieu de tout ça ? Eh bien Poe joue le même rôle que Fenimore Cooper et Thoreau côté polar. Gallmeister voulait retrouver les sources du polar américain, et Poe était donc tout indiqué pour jouer ce rôle. Cependant, Gallmeister aurait pu se contenter de publier uniquement les textes policiers, et, heureusement pour nous, ça n'a pas été le cas : toutes les nouvelles, "baudelairiennes" ou pas, relevant du polar, ou pas, ont été retraduites à quatre mains par Pierre Bondil et Johanne Le Ray. Ce qui fait tout de même de ce premier tome une curiosité dans la catalogue de Gallmeister, car le polar n'y est pas vraiment présent. L'atmosphère noire propre à Poe, qui a tant marquée Lovecraft, imprègne en revanche une partie du recueil. Mais pas que.
Dans ce premier tome, malheureusement pas très bien nommé car portant à confusion avec d'autres titres, ce qui est le plus frappant, c'est l'aspect protéiforme de la littérature d'Edgar Poe. Vingts-sept nouvelles ici, présentées dans un ordre chronologique et qui, selon des catégories établies par les traducteurs et qui se tiennent très bien, relèvent de la satire, de l'horreur, de l'allégorie, de l'aventure, de la fable, de la farce, de la parabole, de la science-fiction... et même du précis de décoration. Évidemment, tous les textes ne se valent pas et, pour un lecteur non contemporain de Poe, et non américain de surcroît, ce qui relève de la satire n'a que peu d'intérêt, parce que très difficile à remettre en contexte. Et quand bien même, je n'ai pas l'impression que ça soit si drôle que ça (mais je reste prudente, tellement l'écriture est liée au contexte). De plus, soyons francs, ça représente une partie non négligeable des nouvelles présentées ici. L'intérêt, en revanche, c'est la découverte d'une facette de Poe ignorée (du moins par mes soins) jusqu'à présent.
Mais c'est loin d'être la seule facette de Poe à laquelle nous avons droit. Bien sûr, on trouvera ici des nouvelles célèbres comme (vous l'avez sans doute deviné), La chute de la maison Usher, mais aussi Manuscrit trouvé dans une bouteille, Bérénice, Ligeia, Morella. Pour ma part, j'ai été happée par des textes que, soit je n'avais jamais lus, soit dont je ne me souvenais absolument pas (il est vrai que ça faisait bien longtemps que je n’avais pas relu Poe) : des textes présentés comme allégoriques, en tout cas énigmatiques à souhait, à l'atmosphère délétère, morbide, poétique. Il s'agit du Roi Peste, de Silence, d'Ombre, qui, il faut tout de même lui reconnaître ça, avaient bel et bien été traduits par Baudelaire.
Nous voici donc avec un nouvel Edgar Poe, qui peut décevoir par moments (oui, les textes satiriques ne sont pas les plus passionnants, ne nous voilons pas la face), mais qui sera montré dans sa totalité. J'ajoute que les traducteurs ne se sont pas fourvoyés dans une actualisation du style des nouvelles qui les rendrait très vite obsolètes, mais ont respecté l'écriture de l'époque. À découvrir, si ce n'est pas déjà fait, et bien entendu, à suivre !
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Créée
le 24 mars 2019
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