L'aventure 2.0 et ses légers tracas (ou Ode au Lidar)

Aucune idée précise de ce qui m'a attiré en ce livre ; je ne suis guère féru d'archéologie (même si j'admets qu'il s'agit d'un domaine en soi très très intéressant), je ne connais vraiment pas grand chose de la géographie du continent américain (c'est à peine si j'aurais su situer, même assez approximativement, le Honduras avant de lire cet ouvrage). Est-ce le souffle de l'Aventure (avec un grand A)? Cette promesse de nous emmener sur les traces d'une cité perdue oubliée par l'homme depuis des centaines et des centaines d'années?


Je ne sais pas; en tout cas, ce que je sais, c'est que ce livre s'est révélé très accrocheur à lire, mais pas du tout pour les raisons que j'imaginais a priori. En effet, l'Aventure en elle-même décrite dans cet ouvrage (soit l'exploration de vestiges pré-hispaniques, dissimulés au cœur de la jungle - impénétrable bien entendu - de la Mosquitia, une région montagneuse dans le quart nord-est du Honduras) s'avère finalement quelque peu décevante, malgré tous les efforts et l’emphase de l'auteur pour nous convaincre du caractère extraordinaire d'une telle expédition (ce dont je ne doute absolument pas d'ailleurs) au cœur d'une vallée laissée totalement à l'abandon depuis des centaines d'années et où la forêt et la nature ont repris tous leurs droits: la centaine de pages consacrées spécifiquement au récit de la première exploration de la vallée perdue semblent ainsi quelque peu longuettes, pleines de détails dispensables et passablement répétitives (une journée dans la jungle finit par ressembler furieusement à une autre journée dans la jungle, passé le moment de la découverte).


Non, en fait, ce qui m'a véritablement intéressé dans ce bouquin, c'est bien plutôt tout le contexte géographico-historique, la préparation et les conséquences de l'expédition terrestre (soit tous les éléments antérieurs et postérieurs à ce qui constitue, concrètement, le cœur du récit). Je m'explique: l'auteur revient tout d'abord sur l'origine de la légende de la "cité perdue du dieu singe" ou "cité blanche" qui donne son titre à l'ouvrage; de Cortez aux multiples explorateurs "amateurs" (dont quelques chercheurs d'or, mais aussi beaucoup de charlatans et bonimenteurs) qui se sont succédés sur plusieurs siècles, sans oublier les récits colportés par les populations autochtones, on voit se développer et se maintenir l'idée que d'incroyables cités pré-hispaniques se cacheraient au cœur de la jungle hondurienne. Si d'ailleurs, l'auteur ne remet jamais en cause le caractère légendaire de cette "Cité blanche" (avec néanmoins un fond de vérité, avec la découverte de véritables cités au cœur de la Mosquitia), il nous montre cependant bien que ce récit mythique a été pour beaucoup dans le montage, le financement et l'intérêt porté à l'expédition à laquelle il a pris part. Le gouvernement hondurien s'est lui-même impliqué dans cette traque d'une cité perdue menée par des "aventuriers" américains dans l'espoir de pouvoir exploiter les potentielles découvertes pour aider à la construction d'un "nationalisme" hondurien, dans un pays en proie par ailleurs à de très importantes difficultés économiques et sociales (omniprésence du crime organisé autour du narco-trafic, insécurité, pauvreté, instabilité politique, etc.). Cf. d'ailleurs l'actuelle "marche des Honduriens" en direction des EU pour échapper à de très difficiles conditions dans leur pays.


Outre l'explicitation du contexte, l'ouvrage se fait également le défenseur enthousiaste d'un nouvel outil pour l'archéologie, le Lidar, un laser très puissant qui, utilisé en reconnaissance aérienne, permet de scanner de larges zones géographiques et d'en révéler d'éventuelles structures archéologiques jusque-là dissimulées, cela y compris avec des conditions de terrain a priori peu propices (désert, jungle, etc.). On comprend bien l'intérêt d'un tel outil et sa dimension révolutionnaire, pour des zones comme la Mosquitia - très peu "amicales" pour l'homme et donc pour les expéditions de terrain -, mais aussi plus largement pour l'activité archéologique dans son ensemble. L'auteur montre bien que cet outil génère, comme c'est bien souvent le cas en matière de sciences "humaines", une opposition entre "anciens" et "modernes", les premiers défendant souvent une vision "romantique" de l'archéologie, où seule serait reine l'expédition de terrain et les fouilles sur place. Étant moi-même géographe de formation, et voyant donc les multiples intérêts de la télédétection (c.a.d. la science de l'exploitation et de l'interprétation automatisée des images satellites et aériennes), je ne suis pour ma part guère difficile à convaincre sur l'intérêt d'une telle invention. Je peux simplement regretter que l'auteur, une fois de plus, cherche quelquefois davantage à convaincre de l'intérêt de l'outil par son emphase et un lyrisme tout "positiviste" plutôt qu'en nous présentant des éléments plus concrets - ne serait-ce par exemple qu'un simple plan de la cité "T1", celle qui, une fois identifiée et cartographiée par Lidar, sera explorée par l'équipe de recherche en compagnie de l'auteur (bref, il faut croire l'auteur essentiellement "sur parole" ici; mais, pour sa défense, il faut tout de même souligner que la télédétection est une science plutôt pointue, en tout cas dans ses soubassements les plus techniques - matériel utilisé, interprétation des différentes longueurs d'onde - et qu'il est bien difficile pour le commun des mortels, tel que vous et moi, de retranscrire précisément et finement les méthodes mises en œuvre ; par ailleurs, la première exploration ayant eu lieu en 2015 (donc très récemment) et étant donné le risque de pillage généralisé au Honduras, il est probable que l'auteur n'ait tout simplement pas pu trop en révéler pour des raisons scientifiques et/ou de sécurité). Il est clair en tout cas que quand la méthode sera généralisée (aujourd'hui, peu d'archéologues la maîtrisent), cela permettra à l'archéologie de faire un grand bond en avant, en changeant d'échelle de travail et en devenant beaucoup plus systématique.


Enfin, le dernier tiers du livre est consacré à une maladie assez grave qu'a contracté une grande partie de l'équipe archéologique ayant exploré la vallée T1 de la Mosquitia: la leishmaniose muqueuse, transmise par des phlébotomes (des cousins du moustique), et causée par des parasites ; les conséquences de cette maladie peuvent être dramatiques dans la mesure où le parasite peut, dans le pire des cas, s'attaquer aux os du visage et littéralement défigurer une personne (allez regarder les conséquences de cette maladie sur internet...si vous avez le cœur bien accroché). Outre la description du traitement de cheval administré à toute l'équipe (et une réflexion sur le manque de moyens alloués à la recherche portant sur des maladies tropicales "de pauvres" - donc peu rentables pour les laboratoires pharmaceutiques), cette épidémie est l'occasion pour l'auteur de revenir sur les causes de la disparition des grandes cités pré-hispaniques. Car, au-delà des éléments socio-économiques (principalement ce que l'auteur nomme le "parasitage croissant des ressources de la société par les élites") et environnementaux (déboisement, érosion des sols, chutes des rendements agricoles et difficultés croissantes à nourrir une population en expansion), l'auteur souligne bien l'importance qu'ont eu, dans le "Nouveau monde" les pandémies véhiculées par les représentants de l' "Ancien monde" débarqués à la toute fin du XVe siècle. C'est l'occasion pour Douglas Preston de développer des considérations intéressantes sur les causes du développement et de la transmission des "maladies de masse" (densités démographiques importantes, sédentarité, contact régulier avec des animaux d'élevage - les fameuses épizooties qui peuvent éventuellement se transmettre à l'homme en cas de mutations, comme la grippe H1N1 récemment mais aussi donc la leishmaniose dont le parasite peut "incuber" dans de multiples animaux outre l'homme -, mais aussi une dimension génétique avec la survie "des plus résistants" à la suite des épidémies successives) et sur l'impact cataclysmique (un véritable "génocide" épidémique) qu'ont eu certaines maladies comme la grippe ou la variole sur les populations du continent américain auparavant isolées (et sur le fait que cet impact a été dans l'ensemble unilatéral: peu de maladies ont, à l'inverse, transité du Nouveau vers l'Ancien monde - la syphilis constituant cependant un contre-exemple).


L'ouvrage se conclut ainsi sur une réflexion sur le possible déclin de nos propres civilisations modernes, sur le modèle des cités pré-hispaniques américaines (dans la continuité des analyses par exemple d'un Jared Diamond dans son ouvrage Effondrement).


Ce livre saura donc plaire à ceux qui trouveront un intérêt à tous ces éléments "périphériques" à l'aventure décrite que j'ai évoqués dans cette critique. Par contre, si vous cherchez de l'Indiana Jones ou du Lara Croft, vous serez cependant, je pense, déçus, l'ouvrage (documentaire) présentant une image plus que réaliste de l'activité archéologique, dans ce qu'elle peut avoir de plus terre-à-terre et de plus laborieux. Une lecture donc enrichissante au final (malgré la propension toute américaine de l'auteur à en faire systématiquement "des caisses" pour chercher à aiguillonner en permanence la curiosité du lecteur).

Tibulle85
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le 23 oct. 2018

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Tibulle85

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