Le personnage de Giacomo Casanova aura connu une grande fortune littéraire, de nombreux auteurs ayant trouvé matière à fiction dans la figure du gentilhomme vénitien, séducteur et joueur invétéré. En 1755, Casanova est arrêté et emprisonné aux Plombs de Venise, d'où il s’évade en novembre 1756 ; quittant le territoire de la République en compagnie d'un moine défroqué, sa fuite le mène jusqu'à Munich, puis Paris. C'est précisément cette évasion et ses suites immédiates qui intéressent l'écrivain hongrois Sándor Márai dans ce roman publié en 1940.
Pourtant ici, point d'aventure picaresque ou rocambolesque : si les conquêtes amoureuses et les duels au clair de lune sont évoqués en filigrane du récit, cette Conversation de Bolzano privilégie la réflexion, l'introspection et la confrontation verbale, dans un style particulièrement foisonnant.
Ainsi, dans ce roman construit comme une pièce de théâtre, une longue mise en bouche permet à l'auteur de planter le décor - celui d'une une bourgade paisible où fait étape Casanova et où son arrivée ne passe pas inaperçue. S'il renoue avec ses vieilles habitudes (séduire une jolie servante, négocier subtilement de quoi financer son train de vie), Casanova ressent pourtant un certain ennui... C'est alors que les événements prennent un tour inattendu, mettant le héros aux prises avec deux figures surgies de son passé.
Ménageons l'intrigue, et contentons-nous de dire que Márai mène de main de maître la seconde partie du roman, avec un dénouement théâtral qui respecte d'ailleurs en tous points la règle classique des trois unités. Au cours d'une nuit singulière, deux conversations (ou plutôt deux tirades tant les réponses sont lapidaires) dissèquent l'Amour, dans sa nature aussi bien que dans ses manifestations. Deux morceaux de bravoure qui font la part belle à une réflexion sur le masque et la lâcheté, sur le jeu de la séduction et l'amour pur et véritable, mais aussi sur la vengeance et le bonheur interdit.
Ainsi, si La Conversation de Bolzano n'est pas le roman le plus connu de l'auteur des Braises, cette oeuvre brève et riche mérite certainement le détour !