Voilà un roman qui gagnerait à être davantage lu. C'est un petit délice. Un délice qui comporte des défauts de construction notoires, mais un délice quand même. Et d'abord pour son style. Le style de Gaton Leroux, c'est ce qui fait toujours et encore mon plaisir lorsque je lis une de ses œuvres, même lorsque ladite œuvre n'est pas une réussite.


La double vie de Théophraste Longuet est son tout premier roman, d'abord paru en feuilleton dans le journal Le Matin. Premier roman, première réussite. Comme je l'annonçais plus haut, le style Gaston Leroux est déjà bien en place : une langue encore très XIXème, mais légère, fluide, enjouée ; un rythme alerte qui ne laisse pas de répit au lecteur ; un humour macabre réjouissant, qui ne sera pas toujours présent dans les œuvres suivantes, mais qui n'en est pas moins une des marques de fabrique de Gaston Leroux. Et on a le choix des genres, le roman mêlant allègrement fantastique, épouvante, policier et merveilleux.


Théophraste Longuet est un personnage de la fin du XIXème on ne peut plus quelconque, à qui il advient une aventure on ne peut plus extraordinaire, puisque le célèbre brigand Cartouche, mort en 1721, va prendre possession de lui. Théophraste n'aura de cesse d’essayer de se débarrasser de son hôte encombrant à la recherche d'un trésor, hôte qui va lui apporter bien des déboires et l'amener à se conduire de façon bien peu honnête. Tout cela finira très mal (aucun divulgâchage de ma part, on le sait dès le départ).


Le récit va donc, sur fond d'histoire de réincarnation ou de possession (un peu des deux), multiplier les péripéties et les rebondissements, avec des épisodes étonnamment sanglants et morbides. Âmes sensibles, abstenez-vous, car vous aurez droit à une scène d'essorillement (eh oui, c'est le sort charmant que réservaient Cartouche et d'autres brigands à leurs ennemis, mais ce fut aussi le sort que réservait la justice à certains criminels) et à une scène de torture qui dure, qui dure, qui dure... et qui ne nous épargne aucun détail épouvantable. Si cela peut vous rassurer, la scène d'essorillement est racontée avec force humour (mais peut-être que là, je vous effraie plus qu'autre chose, hum hum. Donc, sachez que, non, je ne suis pas une sociopathe.) Or, après bien des aventures, alors que le pauvre Théophraste n'est toujours pas débarrassé de Cartouche, le roman bifurque assez bizarrement vers l'énigme policière : une énigme d'un type que Gaston Leroux développera bien davantage avec Le parfum de la dame en noir. Et puis ne voilà-t-il pas que Théophraste s'offre une virée dans les catacombes, et que le récit bascule dans le genre du merveilleux (on pourrait presque parler de fantasy) ! Ces deux épisodes ne manquent ni de piquant, ni d'attrait, ni de charme, mais ils donnent l'impression que Gaston Leroux a voulu insérer dans son premier roman toutes les idées qui lui venaient, quitte à casser la cohésion de l'ensemble. Pourtant, le récit initial, palpitant, suffisait déjà largement au plaisir du lecteur. C'est là le défaut du roman, et, d'un autre côté, c'est aussi ce qui lui donne un petit côté fantasque qui convient bien à son auteur. On appréciera ou pas, c'est selon.


Reste que le talent de Gaston Leroux s'épanouissait dès ce premier roman injustement méconnu, et pourtant plein de caractère et terriblement plaisant.

Cthulie-la-Mignonne
7

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le 6 août 2017

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