Que dire sur La farce de Maître Pathelin autre que "C'est une pièce du Moyen-âge" ou "C'est une farce, genre très prisé au Moyen-âge", lorsqu'on est soi-même peu connaisseuse du théâtre médiéval (et c’est rien de le dire) ? Allez, il faut bien que je me lance, et si j'en viens à énoncer des platitudes, eh bien tant pis : vous n'aurez qu'à me donner des coups de bâton.
Je me suis tout de même un peu renseignée sur le sujet, histoire de ne pas avoir l'air complètement idiote, mais enfin, tout ça ne va pas très loin. C'est un poncif de préciser que les conditions de jeu du théâtre médiéval étaient très différentes de celles du théâtre d'aujourd'hui (première platitude, ça commence bien) ; encore que... Encore que notre théâtre de rue, qui connaît un bel essor depuis pas mal d'années, puisse nous replonger plus ou moins dans le bain. Bon, mais là n'est pas l’essentiel. Il me semble qu'on peut jouer La farce de Maître Pathelin aussi bien en salle comme en extérieur. Toujours est-il qu'il existe un problème de taille avec la lecture de cette farce : c'est que, justement, c'est une farce (seconde platitude, allons-y gaiement ! ) Le propre des farces médiévales, c'est le jeu de scène, la gestuelle, les mimiques des acteurs: toutes choses qui sont difficilement palpables avec le texte seul pour support, d'autant que les didascalies sont rares. Toutes choses sur lesquelles reposait l'efficacité des farces, bien davantage, donc, que sur des textes ; d'ailleurs, des textes de farces médiévales, on en connaît assez peu. Celui-ci se tient cependant et se résume en une morale qui était le plus souvent celle des farces d'alors : tel est pris qui croyait prendre.
Pathelin est un avocat sans clients, désargenté, mais qui, voulant refaire sa garde-robe et celle de sa femme, trouve moyen de tromper un drapier à la foire. Il choisit du tissu, et réussit, à force d'arguments flatteurs, à l'emporter sans payer, promettant de s'acquitter de sa dette dans la journée. Lorsque le marchand vient réclamer son dû chez Pathelin, celui-ci fait alors mine d'être mourant ; pire, il affirme, avec la complicité de sa femme Guillemette, qu'il est au plus mal depuis des jours, qu'il n'a jamais mis les pieds à la foire de la journée (il est mourant, comment se serait-il rendu à a foire ??? ) Et voilà le marchand qui s'en va la queue entre les jambes, ne sachant plus qui croire ni à quel saint se vouer, se demandant si quelque diablerie n'est pas à l’œuvre. Survient alors le berger Thibaud chez Pathelin, à qui son maître veut intenter un procès pour des raisons relativement raisonnables : le berger a tué pas mal des bêtes dont il avait la garde et les a mangées pour compenser son maigre salaire. Petite précision : le maître du berger est justement le drapier qu'a escroqué Pathelin, mais cela, Pathelin ne le sait pas. Voilà donc Pathelin au tribunal en tant que défenseur du berger, mais aussi à nouveau en présence du marchand (Pathelin s'est fait passer quelques heures plus tôt pour mourant, je le rappelle), auquel il tente de dissimuler son visage. Le marchand le reconnaît, en perd ses moyens, s'en prend tout autant à Pathelin pour la question du tissu qu'au berger pour avoir tué des moutons, ce qui rend le procès terriblement confus et fait dire régulièrement au juge : "Revenons à nos moutons" (eh oui, l'expression vient de là !), d'autant que, sur les conseils de Pathelin, le berger ne répond que "Bêê" aux questions qu'on lui pose. Le marchand en sera pour ses frais deux fois en une seule journée. Quant à Pathelin... il sera joué par le berger qui ne le paiera pas, et lui répondra invariablement "bêê".
Si la scène I, scène d'exposition, démarre un peu poussivement, avec un dialogue entre Pathelin et sa femme qui manque d'entrain, on est vite amusé par le discours flatteur de l'avocat, qui se joue facilement d'un marchand naïf. Mais les deux moments vraiment drôles à la lecture sont le passage où Pathelin joue les mourants (la ruse est bonne, mais sacrément gonflée !) et celui où, au tribunal, les deux affaires s’emmêlent de telle façon que le juge n'y comprend plus rien du tout. Donc, oui, c'est relativement amusant à la lecture, c'est bien ficelé, les personnages sont parfaitement réussis chacun dans leur genre, mais on sent bien que ça doit être dix fois moins drôle que sur scène - pour peu qu'on ne soit pas trop bégueule et qu'on apprécie un théâtre qui joue sur des ressorts simples et un comique bon enfant (et cependant sans aucune blague scabreuse, ce qui est tout de même à noter pour l'époque). Se contenter de lire la pièce en fait presque un objet de curiosité littéraire - et ce d'autant que plusieurs expressions courantes et proverbiales de la langue française en sont issues ; la pièce perd donc beaucoup de sa force à ce stade, et ce serait dommage d'en rester là, car je suis persuadée qu'il conviendrait bien au répertoire de certaines troupes de théâtre de rue et que son potentiel comique reste d'actualité. Me reste à pouvoir vérifier ça de mes yeux et de mes oreilles. Un jour, qui sait ?