La Femme aux pieds nus par François CONSTANT
J’ai vraiment apprécié ce livre à messages emboîtés. « La femme aux pieds nus », de Scholastique MUKANSONGA (lu en Ed. : Folio, n°5382) nous ouvre d’abord à la réalité de la vie rurale et ancestrale des Tutsis avant que ne commence leur exil forcé, au sein de leur propre pays. On est confronté à des pratiques agraires, culinaires qui nous semblent « tellement dépassées » … mais que nous serions incapables de reproduire nous-mêmes. On y découvre des techniques de construction, de gestion des espaces sociaux et les conventions qui les régissent. On y découvre la valeur du pain, de la voisine, du labeur, du partage des tâches. Et puis, on plonge au cœur des relations familiales, des croyances, fondées ou pas qui aident à vivre et des rôles tenus par ces mères-courage que représente cette femme aux pieds nus.
À un deuxième niveau, on découvre combien les mouvements ethniques de déportation mettent à mal la stabilité de ces us et coutumes. Combien ce mode de vie est nié, écrasé, méprisé par les pouvoirs qui se mettent en place, parfois en connivence, pour chasser les Tutsis et les conduire à l’extermination génocidaire que l’on sait. Ce pouvoir, il est tenu par les blancs qui ne peuvent admettre que leur modèle de société n’est pas nécessairement adapté aux colonies, par les militaires qui règnent par les armes, la peur, les viols et les massacres qu’ils s’autorisent et dont ils se félicitent. Mais aussi, parfois, par la religion qui s’impose au lieu de se proposer et qui, tout en étant vecteur de modernité (pas nécessairement positive), allume les moteurs de la peur, de la culpabilité et le spectre du châtiment éternel.
Au-delà du documentaire et des questions qu’il pose sur les prises du pouvoir, ce livre ouvre le lecteur à une réflexion plus large sur la répétition de l’Histoire des peuples expulsés, déportés, meurtris et amputés de leurs racines. Malgré les « plus jamais ça ! » des après- guerres, il y a encore tant d’exactions dans notre monde. Un livre qui jamais n’appelle à la violence, à la vengeance mais qui rappelle qu’on doit prendre conscience, se souvenir, faire mémoire. Seul chemin d’accès à un avenir capable de pouvoir tendre une main vers l’autre, une main sans machette, sans gourdin, sans poignard, bombe ou roquette. Une vraie main humaine, désarmée, désarmante !