La fin de l’homme en rouge est le sixième ouvrage de l’auteure biélorusse Svetlana Alexievitch. Il rassemble les témoignages d’habitants de l’Union soviétique dans les années 90 et 2000. La chute du régime, le 26 décembre 1991, met en évidence les divisions dans la société russe, entre les nostalgiques de la grandeur de l’URSS, qui a envoyé le premier homme dans l’espace, et ceux qui ont enduré la terreur exercée par la machine communiste avec ses goulags, et qui souhaitent sentir un vent de liberté.
La grande force de cet ouvrage réside dans son style littéraire « polyphonique », grâce aux témoignages d’une centaine de personnes qui ont vécu sous différents dirigeants soviétiques, de Joseph Staline à Boris Eltsine, avec des récits bruts et sans aucune censure. L’auteure s’est armée d’un Dictaphone pour enregistrer de longs entretiens, souvent des les cuisines des gens, l’un des seuls lieux ou les soviétiques osent discuter librement pour critiquer le pouvoir, après avoir mis un coussin sur le téléphone, par crainte que celui-ci n’enregistre leurs dires. Car la paranoïa constante et la peur d’être arrêté touche toutes les couches de la société, même le président Mikhaïl Gorbatchev augmentait le volume de sa télévision afin de noyer ses conversations sensibles, au cas ou un micro se cacherait dans un coin de la pièce.
Découverte d’un capitalisme frénétique
Malgré des arrestations massives et arbitraires, comme ce conducteur de taxi enfermé dans un goulag car il ressemblait à Staline, d’anciens prisonniers veulent prendre part à la Seconde Guerre mondiale, afin de laver leur honneur et récupérer leur fameuse carte du Parti, seul salut à leurs yeux. Un réel décalage s’opère avec les plus jeunes générations, qui souhaitent voir sur les étales des échoppes le « suprême saucisson », d’une grande rareté avant la chute du régime. Mais l’arrivée du capitalisme et l’ouverture du pays à l’économie de marché voient arriver une abondance de produits de consommation qui bouleverse la société. Après des décennies de restrictions, les appétits s’éveillent, et certains s’enrichissent allègrement en important des biens d’autres pays. Ils sont perçus comme des brigands ou voyous par ceux qui idéalisent encore le communisme.
Certains passages restent assez durs à lire, comme dans La supplication sorti en 1997, qui restitue les souffrances des personnes qui ont vécu la catastrophe de Tchernobyl. Les descriptions de massacres perpétrés sur les juifs par les Allemands, et aussi par des Soviétiques, pendant la Seconde Guerre mondiale ou bien la vie des gens enfermés dans les goulags soviétiques prennent aux tripes en nous plongeant dans l’histoire sombre de l’URSS.
Pour cet essai, sorti en 2013 dans la collection Lettres russe chez Actes Sud, la journaliste et écrivaine engagée à reçu le prix Médicis et son livre a été désigné meilleur livre de l’année par le magazine Lire. Dans ses précédents écrits, La supplication ou encore Les cercueils de zinc, Svetlana Alexievitch, née en Ukraine en 1948, dénonçait déjà la guerre, la violence et les mensonges distillés par le régime communiste soviétique. Grâce à ces livres, elle devient la première femme qui écrit en langue russe à recevoir le prix Nobel de littérature. Son livre a d’ailleurs été adapté en France avec deux pièces de théâtres, l’une misent en scène par Stéphanie Loïk, en 2018, et l’autre par Emmanuel Meirieu, en 2019. Il a d’ailleurs inspiré, par sa forme littéraire, les auteurs Quentin Müller et Sebastian Castelier pour leur ouvrage Les esclaves de l’homme-pétrole, sorti aux éditions Marchialy, qui éclairent les lecteurs au sujet des travailleurs étrangers qui ont construit les stades de football pour la Coupe du monde de 2022 au Qatar.