Ce livre, ca a été des montagnes russes. Au tout début, j'étais un peu perdu, je m'attendais à un essai philosophique contre la technique débridée, et Bernanos parle sans cesse de la révolution de 1789. Déjà, il a fallu que je comprenne qu'il s'agissait plus d'un pamphlet (la répétition de "Imbéciles!" a bien fini par me faire comprendre). Par contre, j'étais toujours très sceptique devant l'argumentation, d'un côté Bernanos critique le capitalisme, d'un autre il met les marxistes dans le même sac que les fascistes. D'un côté il se dit contre toute forme de fanatisme nationaliste et de racisme (il y a même un passage où il écrit qu'il ne s'agit pas de déterminer qui est meilleur de l'ouvrier américain ou français), d'un autre côté il présente la révolution de 1789 comme le summum absolu de l'humanité, et avancent que les français d'alors représentaient la "civilisation hellénique" portée à la perfection, que toute l'Europe ne faisait que suivre la France. Maintenant que j'ai fini le livre, je ne comprends d'ailleurs vraiment pas pourquoi il n'a pas mentionné la commune de Paris une seule fois. Heureusement il éclaircit les choses en expliquant qu'il fait la distinction entre Patrie et Nation, la Nation étant plus ou moins confondue avec l'Etat, et la Patrie correspondant plutôt à l'environnement social, géographique et culturel auquel on s'attache naturellement au fil du temps. Et bien que la Nation demande, et souvent force, le sacrifice ultime, la Patrie ne saurait qu'accepter d'être servie par des personnes libres.
Mine de rien, malgré le titre, il me semble que seuls les deux derniers chapitres s'attaquent réellement à "la Machine". En réalité, la thèse est simple, on développe la technique sans s'arrêter sans autre but que l'efficacité, les technologies permettent donc de déployer de plus en plus de puissance, et pourtant, l'humain n'est pas plus sage qu'hier. Pire, les techniques modernes nous permettent de causer des souffrances et des destructions incroyables sans en ressentir la moindre conséquence. Il est très facile d'acheter un habit en oubliant l'ouvrier qui passe sa vie dans une usine insalubre.
Et là, on arrive au dernier chapitre, et je dois dire que j'étais à deux doigts de chialer, j'ai eu l'impression que quelqu'un, de plutôt éloquent de surcroit, mettait des mots sur une sorte de malaise que je ressens depuis longtemps, un cri de désespoir, une gifle pour secouer les esprits, un appel à la révolte. Parmi les expressions les plus marquantes, je retiens que le monde moderne est "contre toute forme de vie intérieure", en fait, je l'étais moi-même jusqu'à récemment. Je ne vais pas trop m'étendre sur ma vie, mais cela fait quelque temps que je me pose la question de l'évolution de la technologie, et j'ai bien vu dans mon travail comment cela fonctionnait. Bernanos, l'appel n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd, le progrès ne devrait pas se mesurer au PIB, à l'obéissance et l'uniformité de la population, et encore moins au niveau technologique. A vrai dire, un courant philosophique, auquel Bernanos ne fait pas allusion une seule fois, a posé ces termes, l'anarchisme. C'est dommage qu'il ne semble pas en avoir entendu parler, il aurait peut-être pu devenir le premier anarcho-primitiviste hah.