Voilà le mastodonte de la SF si on en croit son impressionnant palmarès dans le monde anglo-saxon.
Jugez plutôt :
Prix Hugo du meilleur roman 2014
Prix Arthur C. Clarke 2014
Prix Locus du meilleur premier roman 2014
Prix Nebula 2013
Prix British Science Fiction 2013
Alors qu'en est-il une fois passé à la moulinette de la traduction ? Et bien, ça reste très bien, et je pense que Patrick Marcel, qui s'est chargé de la traduction a dû bien s'amuser, parce que ça a pas dû être facile.
L'histoire se déroule au sein de l'Empire Radchaaï, un vaste organisme politique dont la survie et la prospérité repose sur l'expansion spatiale et l'annexion de ses voisins. Le Radch, comme on le nomme, annexe donc les planètes au fur et à mesure de son expansion, intégrant ceux qui se plient à sa volonté, mais réprimant sans pitié ses opposants.
La particularité du Radch, c'est qu'il utilise un type de soldats inédits : les Ancillaires culturons nous un peu. Ces ancillaires sont en réalité d'anciens prisonniers de guerre, transformés suite à l'implantation de tout un cortège d'implants neuronaux et physiques en super soldats, dévolus au service du Radch (d'où leur nom).
Mais la vraie spécificité de ces combattants, c'est qu'ils ne sont plus maîtres de leurs actes, car ils sont en réalité tous dirigés par des I.A., et plus précisément les I.A. des vaisseaux auxquels ils sont rattachés. Ces I.A., très développées possèdent des personnalités, sont capables de réflexion poussée et même de conscience. Les seuls humains à bord de ces vaisseaux spatiaux sont donc les officiers, tous originaires du Radch.
Le récit, quant à lui, se focalise sur une ancillaire qui, suite à la destruction de son vaisseau (le Justice de Toren), se retrouve seule. Cette ancillaire est donc une entité à part, orpheline de ses autres ancillaires, de son vaisseau et de ses officiers (et tout particulièrement de l'une d'entre elles, pour laquelle l'I.A. avait une certaine tendresse) et elle cherche à se venger.
Voilà pour le pitch, résumé à grands traits.
En terme d'écriture, un des aspects qui m'a le plus intéressé, c'est que Ann Leckie a fait le choix d'un Radch où il n'existe aucune distinction de genre entre les individus, et où le féminin est utilisé indifféremment pour les hommes et les femmes.
C'est assez déstabilisant en terme de lecture, puisqu'à de rares exceptions près, on ne connaîtra pas le sexe des protagonistes du roman. Bien que déroutant au départ, on finit par s'y faire, et cela donne un côté très étonnant à cet empire radchaaï.
L'intrigue du roman est bien tarabiscotée, bien prenante, et le personnage de l'ancillaire très intéressante, avec ses questionnements, son sentiment d'abandon (depuis qu'elle est passée d'une conscience incarnée à la fois dans son vaisseau et dans ses centaines d'ancillaires, à une seule incarnation qui la transforme de facto, en individu) et surtout par son attachement sentimental à une des officiers de son vaisseau dont elle veut venger la mort.
On y trouve également les questionnements qui parcourent l'espace radchaaï : l'abandon de l'expansion est-il une bonne chose ? L'utilisation et surtout la création d'ancillaires, est-ce bien moral ? Doit-on ouvrir l'accès aux offices à tous ou continuer de les limiter aux seules maisons nobles ? À travers toutes ces questions transparaissent les lignes de tensions existant au sein de cet Empire que l'on sent au bord de la rupture (l'avenir et les deux tomes à venir nous le diront)
La narration, quant à elle, se déroule en deux temps, avec des passages "au présent" où l'on suit l'ancillaire dans sa quête de justice, sans qu'au début ses motivations et projets soient très clairs et "au passé", dans des passages revenant sur les événements ayant conduit à la destruction du Justice de Toren et donc à la situation présente, révélant petit à petit les tenants et aboutissants du récit. On pourra reprocher un côté un peu longuet au début du roman, mais en considérant le résultat final, je veux bien oublier ce petit défaut.
Le roman est au final très réussi, surprenant, et je suis bien curieux de lire la suite.