Lire La Maison du vagabond, c’est rencontrer un homme : Mariusz Wilk et un lieu : une maison en bois dans un village à moitié déserté, Konda Berejnaïa, sur la rive nord du lac Onega, un des plus grands lacs d’Europe, en république de Carélie. Et les deux sont liés : l’homme est le paysage et le paysage est l’homme. Indissociables.
L’auteur nous livre ici son journal : chaque jour ou presque, il parle des hommes, des lieux, des livres, de sa fille Martusza et du temps qui passe… Il nous livre ses pensées, ses confidences, ses émotions, ses doutes, au fil des jours, au fil du temps.
Lorsqu’il regarde par la fenêtre de sa maison, ce qu’il voit est beau, infiniment beau.
Il raconte qu’un de ses amis « avait cru se trouver sur la paume ouverte de Dieu » et qu’à son retour, il s’était fait baptiser ! Un autre convive, Georges Nivat, invité à séjourner quelques jours à Konda, aurait dit qu’ « il suffit d’avoir un horizon comme celui-ci pour avoir tout de suite envie d’écrire », ce qui donne, en russe (si, si, il faut se mettre dans l’ambiance !) : « Vot, ouvidish takoï okoïom i srazou zakhotchech pisat’ ».
Et ce qu’il voit dans sa propre maison est peut-être encore plus beau, si c’est possible… Kandinsky serait devenu le peintre génial qu’il est en entrant un jour dans une de ces maisons en bois : « Une table, des bancs, un poêle immense, une armoire et un buffet, le tout décoré avec des ornements multicolores peints à grands traits, aux murs des scènes de bylines (chants épiques de la Russie ancienne racontant les hauts faits des chevaliers) éclatantes de couleurs et le coin rouge avec les icônes, éclairé par une petite lampe rouge comme si elle se murmurait à elle-même, vivant sa vie mystérieuse… »
Je lis cette description et repense à ma grand-mère et à mon arrière-grand-mère russes que je n’ai pas connues. Je les imagine assises près d’un samovar dans un jardin de Serpoukhov au sud de Moscou. En réalité, je n’imagine rien, je vois, sur des photos. Ma grand-mère est encore un bébé et ils n’ont pas encore quitté leur pays…
Marius tente de décrire les fameuses nuits blanches que certains disent plutôt roses, lui les voit « lilas jusqu’au gris d’or ». Le paysage est peinture : « en regardant aujourd’hui par la fenêtre, je vois le cobalt pâle de l’Onega et un ciel d’un violet délavé ». Une vraie « palette mystique ».
Plus difficile encore est de décrire la fonte des glaces car « celle-ci fond différemment au soleil et sous l’averse ; le vent l’entasse, le brouillard la gobe, la vague la grumelle… Tout cela s’accompagne de sons : un grondement, des éclats, divers crissements et bourdonnements, claquements, grincements et craquements. Et puis, tout se met à bouger … comme si le paysage de l’autre côté de ma fenêtre avait pris un coup de pied. »
Tiens, soudain, je pense à Chagall, à ses personnages et ses animaux qui volent, à ses maisons en rondins penchées.
Et l’eau du bouleau, « le meilleur médicament du printemps pour soigner le vague à l’âme », il faut la récolter dans des pots attachés sur les troncs…
Mariusz parle aussi de ses auteurs, longuement : Gombrowicz, Sebald, Bouvier, il les cite, les commente, les analyse. Il a le temps. « Un grand nombre de passages de mon journal constituent effectivement le récit de la contemplation d’un « flâneur »… ce qui demande une lecture peu hâtive et du temps pour réfléchir ainsi que, bien souvent, des retours à ce qui vient d’être lu pour retrouver le cheminement oublié d’une pensée… »
Prendre le temps de penser, de contempler, de rêver, de vagabonder toujours et encore et revenir à la maison, devenir la maison dans le paysage grandiose, être dans la beauté, être la beauté.
Mariusz Wilk n’écrit pas sur le monde dans le sens où son travail n’est pas un reportage sur une région, ses hommes et ses coutumes. Non, il « écrit le monde », de l’intérieur, de son corps et de son âme, il vit la chapelle de la Vierge douloureuse « qui se reflète dans la surface lumineuse et azurée de l’Onega », il partage avec son lecteur les tartines à l’ail, le hareng et la bière, nous conviant à un voyage « au plus profond » de lui et si l’on sait écouter, on l’entendra car, « au loin, à l’horizon, le ciel et la terre se rejoignent en silence. Dans une telle quiétude, on entend chaque mot. »
Je les ai entendus et ils sont là, dans mon cœur.
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