Pour commencer, disons-le franchement, cette note de 9 est une surestimation du roman, qui mériterait plutôt un 8,5. Mais si j'ai opté finalement pour le 9, c'est parce que, au-delà de sa propre valeur, ce roman constitue, à mes yeux, le sommet d'un genre littéraire. La Lionne Blanche, c'est ce que le sous-genre du polar nordique peut nous offrir de meilleur.
D'abord, il y a l'intrigue policière, avec ses rebondissements, ses méchants, ses complots, ses courses-poursuites, ses fusillades, ses attentats, etc. En gros, même en allant à son petit rythme tranquille, le roman de Mankell est constamment sous tension, il se déroule toujours quelque chose, et la résolution d'un mystère ne fait qu'offrir de nouvelles questions, le tout dans une impression de danger permanent. Et notre pauvre Wallander, qui croyait mener sa petite vie bien tranquille (et bien déprimante) dans sa Scanie coupée du Monde, se retrouve en plein complot internationale, avec ses tueurs à gages, ses anciens agents du KGB, et une agent immobilière disparue et un index coupé.
S'il s'était limité à cela, le roman aurait été passionnant, et ç'aurait déjà été une bonne chose (à vrai dire, que demande-t-on de plus à roman policier?). Mais Mankell sait qu'un bon roman policier doit avoir aussi un aspect social. C'est là qu'intervient sa description d'une « Suède profonde », la Scanie, complètement déstabilisée par l'arrivée du crime organisé russe et devenue plaque tournante de trafics entre Moscou et le reste de l'Europe. A travers cette brigade de police dépassée par l'ampleur de ce qu'elle doit affronter, on sent tout un désarroi. La région peu habitée et refermée sur elle-même est d'un coup confrontée à la mondialisation du crime, rendue encore plus frappante (et dangereuse) par la chute du bloc soviétique.
Car c'est tout un monde en mutation que décrit Mankell. Des mutations qui ne sont pas forcément négatives, d'ailleurs. Car, en plus de la Suède, le roman se déroule aussi dans une autre partie du monde que l'auteur connaissait bien, l'Afrique du Sud. Une Afrique du Sud qui est plongée également dans des changements majeurs après la libération de Mandela et la transition qui est en train de se mettre en place. Mankell décrit avec maestria et sans céder aux facilités caricaturales les horreurs sociales nées de l'apartheid (qui ne fut pas seulement une « désappropriation » de la terre, mais aussi une éradication sociale et culturelle des populations noires coupées de leurs racines et privées de repères), le rôle des Boers dans la mise en place du processus raciste, et le poids gigantesque qui pesait sur les épaules de De Klerk, condamné à réussir une réconciliation nationale sous peine de plonger le pays dans le chaos.
Suspense, enjeux politiques internationaux, descriptions sociales pertinentes, tout est réuni pour faire de La Lionne Blanche un grand roman, un des meilleurs polars nordiques jusqu'à présent.