Le creux de la vague ou comment s'échouer devant Constantinople

Avec tous les aléas liés au changement d'editeur je me retrouve en 2017 à lire le 9e tome de la saga au bout de vingt ans. Et c'est sans compter sur la sortie des tomes qui ne correspond pas à la chronologie de la saga elle-même. Bref j'ai beau être très fan du personnage de Nicolas Eymerich, inquisiteur général du royaume d'Aragon, je me sens parfois perdu dans ses aventures.
Il cotoie les puissants de son époque et combat sans concessions les hérésies et tout ce qui ne relève pas de la doctrine pronée par son ordre : les dominicains. Le personnage est foncièrement intransigeant et acerbe. L'auteur, Valerio Evangelisti, s'amuse visiblement à lui faire dire les pires horreurs afin de nous choquer, nous lecteurs raisonnables, évidemment tolérants et oh combien éclairés du XXe et XXIe siècle. On ne peut contester le raisonnement implacable d'un homme qui occupe cette fonction à la fin du moyen Age, et cela nous met paradoxalement mal à l'aise tout en étant jubilatoire parce qu'aucun de nos héros contemporains ne se risquerait à tenir de tels propos sur l'Ordre franciscain, sur les Chrétiens orthodoxes, sur l'Islam, ou les juifs. Au moins Eymerich est-il equitable dans le traitement qu'il réserve à celles et ceux qui ne suivent pas ses principes.
Voici une longue introduction pour mieux expliquer pouquoi selon moi cet opus ne mérite pas beaucoup plus que la moyenne. Dans La lumière d'Orion on retrouve le classique découpage de l'aventure en époques distinctes. Dans un futur lointain mais non daté, il est question d'une guerre entre coalitions antagonistes (classique pour la saga) avec de la chair à canon propre aux factions : certains ont des organes surnuméraires pour être plus résistants et les autres sont des esatz de monstres de Frankenstein. On trouve en plus dans ce tome des "géants". C'est de plus en plus confus si l'on ne se rappelle plus comment on en est arrivé là dans les épisodes précedents, sans compter les factions geopolitiques elles-mêmes qui sont une recomposition des grands blocs de puissance actuels. La deuxième époque est de nouveau centrée sur le professeur Frullifer qu'on a croisé dans un futur plus proche dans le 1er tome et le 6e de mémoire. C'est un brillant benêt, attachant mais incompris, qui est la plupart du temps la caution scientifique des phénomènes qui influent à la fois sur la guerre du futur et sur l'époque d'Eymerich qui peut donc être confronté à toutes sortes d'anomalies de son point de vue purement religieux. Comme d'habitude la partie consacrée à l'inquisiteur constitue l'essentiel du roman. Heureusement puisque c'est la plus jouissive.
L'histoire commence très bien puisque d'emblée Eymerich est mis en difficulté et habilement trouve le moyen de rejoindre la croisade venitienne à destination de l'Empire d'Orient menacé par les turcs. Depuis l'escale à Venise on comprend que des enjeux plus troubles sont à l'oeuvre et que le plus grand ennemi de Constantinople n'est pas l'Islam. On y aurait vu des Géants avançant inexorablement dans les eaux qui la bordent. Ceux-ci chaque jour sortent de la brume et disparaissent peu après chaque fois un peu plus près des murs décrepis de la capitale. Eymerich soupçonne que les plus hautes responsabilités de la ville dissimulent quelques vérités inavouables.
Je résume l'intrigue et je trouve que ce n'est pas mauvais voir très bon comme accroche. Par contre si j'ai adoré les deux premiers tiers du bouquin où on est fasciné par la fourberie et les manigances de l'inquisiteur, j'ai trouvé qu'Evangelisti usait trop d'artifices pour laisser le lecteur dans l'expectative et allonger artificiellement une intrigue pas si épaisse : par exemple l'interruption soudaine d'un dialogue au moment d'une révelation fracassante. Ailleurs, un personnage demande une explication relative à une énigme que l'on a évoqué cent pages plus tôt, mais Eymerich l'érudit déclare qu'il a la réponse mais que cela peut attendre...
Et je ne spolierai pas le mystère que j'ai trouvé clairement fantastique et tarabiscoté. En refermant le livre je ne suis pas certain d'avoir bien compris les tenants et aboutissants de ce puzzle.
Du point de vue de l'intrigue on à là un des tomes les moins bons car incompréhensible si l'on n'a pas (fraichement) en tête la logique des futurs décrits dans les huit tomes précédents. Par contre je trouve qu'on frolle l'excellence en terme de style et d'écriture pure. Je trouve que notre écrivain est de plus en plus porté sur la chose sexuelle (on parle de fellation, d'homosexualité, de pénis et testicules surdimensionnés pour un accouplement douteux, de castration [dans le contexte c'est une scène très comique et bien troussée]).
Je suis donc resté sur ma faim avec cet avant dernier épisode. Il faut dire qu'il succède à Mater Terribilis qui était un bon crû. Je croise les doigts pour le tome 10 que j'ai déjà mais que je vais faire durer étant donné que c'est le dernier. Snif.

SebastienBrassart
6

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Créée

le 25 nov. 2017

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