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La malédiction de Yig fait partie de ce qu'on a coutume d'appeler les "révisions" de Lovecraft, textes qu'il a écrits en collaboration avec d'autres auteurs, voire simplement relus et corrigés, ou dont on peut, pour certains, lui accorder l'entière paternité ; c'est le cas pour cette nouvelle, dont Zelia Brown Reed n'avait fourni qu'un vague argument de départ - et pas forcément des meilleurs. Beaucoup de ces révisions ne sont pas de grandes réussites, Lovecraft ayant dû s’accommoder non seulement d'un collaborateur, mais aussi des demandes des pulps pour lesquels il écrivait. Et, évidemment, c'était là une activité purement rémunératrice - quoique pas très lucrative - qu'il pratiquait, et dont il faisait finalement assez peu de cas.


Il n'empêche que La malédiction de Yig sort bizarrement du lot. Changement complet de décor, voire de sujet, pour un Lovecraft qui s’attaque ici à un récit qui relate l'histoire de deux pionniers, Audrey et Walker Davis, partis de l'Arkansas à la fin du XIXème siècle pour aller s'installer en Oklahoma, dans le pays Kickapoo. Une région où les croyances concernant le dieu Yig, mi-homme, mi-serpent, sont encore tenaces, bien que ni les Indiens, ni les pionniers, n'aiment à en parler. Walker soufrant d'une phobie des serpents, ces croyances vont peu à peu ébranler ses nerfs, puis ceux de sa femme.


La narration est typiquement lovecraftienne, avec l'habituelle mise à distance du lecteur par un narrateur - un chercheur, qui manquera naturellement de s'évanouir, et qui sera lui-même l'auditeur d'un autre narrateur, ce dernier ayant du lui-même reconstituer une partie de l'histoire. Car tout commence... dans un asile d'aliénés. On peut regretter cependant que Lovecraft ait un peu pris ses aises et ne se soit pas trop foulé lorsqu'il s'est agi de saisir le malaise planant sur les populations indiennes comme pionnières, et de toucher du doigt la question de l'indicible, si importante chez lui. Mais le suspense marche à plein, et l'on est étonné de l'ambiance qui plane ici. Pas d'horreur cosmique en vue, c'est certain. On a dit que Lovecraft s'était inspiré, pour cette nouvelle, d'Edgar Poe ; mais ne le dit-on pas de la moitié, au moins, de ses fictions ? Pour ma part, j'y ai trouvé une atmosphère très proche des récits fantastiques de la Frontière d’Ambrose Bierce, d'un macabre bien ancré dans le réalisme d'une époque si symptomatique de l'histoire américaine. Et il est difficile de ne pas penser également à Charlotte Perkins Gilman... pour des raisons que je vous laisserai découvrir tout seuls.


Voilà donc une révision qui vaut le détour, non seulement parce qu'elle est de meilleure qualité que les autres, mais aussi parce que Lovecraft y dévoile ici une facette un peu différente de ce qu'on connaît de lui dans les genres du fantastique et de l'horreur.

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