Trisolaris tourne.
Voila finalement le dernier volume de la trilogie des Trois Corps. Après Wang Miao et Luo Ji, c'est une héroïne qui est le point central de notre attention cette fois-ci. Son nom est Cheng Xin et...
le 20 oct. 2016
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[Attention, je divulgache] Dans La Mort Immortelle (死神永生), troisième et dernier tome de la saga des Trois Corps (三体), il y a bien quelques belles idées de science-fiction, mais elles n'enlèvent pas à ce tome un aspect superflu et redondant. Cela dit, cela permet à Liu Cixin de clarifier son propos et les ambiguïtés du tome précédent. D'ailleurs ce tome se présente comme des mémoires d'une Histoire de l'humanité.
Ce tome est superflu et redondant, car il martèle son propos jusqu'à l'indigestion. Pour cela, les scènes d'apocalypse du tome précédent sont reproduites ad nauseam dans celui-ci, avec d'ailleurs toujours les mêmes métaphores à base d'insectes ou de fourmis pour parler de l'humanité. Dans ce tome, il y a trois longs passages de la sorte : l'Australie, la fausse alerte et la bidimensionalisation. Le troisième finissant par anéantir le système solaire et une bonne partie de l'humanité. Les trois sont construits en miroir et Liu Cixin lui-même semble avoir conscience de l'aspect répétitif de la chose puisque ses personnages font eux-mêmes des références aux précédents évènements. Et au fond, le propos reste le même, celui d'une humanité trop infantile, -mais cette fois également trop féminine-, trop intransigeante sur ses valeurs humanistes et trop égalitaire. Elle ne se conforme pas assez aux lois spenceristes érigée en loi universelles dans le tome précédent et elle est donc voué à souffrir à cause de cela. Liu Cixin s'emploie d'ailleurs même à répondre d'une manière à peine voilée aux critiques qui assimileraient ces « lois universelles » à un délire de persécution (c'est-à-dire, les malheureux comme moi, qui, dans ma critique du tome 2 parle plus poliment de sentiment d'obsidionalité pour qualifier le regard sur le monde de celui qui donne une telle place à de telles lois). Trois fois, Liu Cixin décrit l'apocalypse et une humanité brisée basculant dans le chaos d'une manière assez similaire à un long passage que l'on trouve à la fin du tome 2. Si dans le tome 2, cela m'amenait à me questionner sur la nature du propos que Liu Cixin cherchait à faire passer, dans le tome 3, cela en devient, à mes yeux, aussi répétitif sur la forme que d'une grande lourdeur sur le fond.
Le symbole du propos de Liu Cixin, c'est le personnage de Cheng Xin et son opposition à Thomas Wade. Et, sur cet aspect-là aussi, Liu Cixin n'y va pas de main morte. En effet, il fait subir un véritable chemin de croix à Cheng Xin qui condamne par deux fois la quasi-totalité de l'ensemble du système solaire, dont une fois définitivement (sacrée performance quand même quand on y pense), tout en l'obligeant à survivre avec la mémoire de ses actions sur la conscience pour la pousser à s'engager finalement « de l'avant » sur la voie de Thomas Wade qu'elle réprouvait. La seule nuance vis-à-vis de ce personnage est que, comme certaines personnes le lui rappellent pour la réconforter à différents moments du récit, ce n'est pas tant elle qui condamne l'humanité que l'humanité (féminisée, j'insiste, car cela semble être une obsession de Liu Cixin dans ce tome tant il s'étend dans la première partie à décrire la « féminisation » de l'humanité à la suite des années de paix avec les trisolariens, une féminisation qui est désignée comme à la source de sa perte) qui se condamne elle-même en choisissant Cheng Xin pour la représenter au nom de la beauté de ses valeurs et parce qu'elle est une femme et donc, selon Liu Cixin forcément douce, pacifiste et représentante des droits humains, et ce, du fait de son « instinct maternel ». Elle est opposée à un Thomas Wade et ses partisans masculins et virils ne reculant devant rien pour la grandeur et l'expansion. Dans un tel récit, le statu quo semble inenvisageable. Il faut s'étendre ou mourir. En y réfléchissant, alors que je cherchais à écrire sur cette trilogie qui est quand même un véritable phénomène (au point d'avoir droit à une série Netflix, chose rare pour ne pas dire inédite pour un roman/une saga de la littérature chinoise contemporaine) qui mérite d'être analysé, je me disais qu'on tenait peut-être là la version chinoise de la destinée manifeste américaine et tout ce qu'elle peut amener d'impérialisme avec elle.
Ainsi, c'est le tome où Liu Cixin développe le plus son propos sur les Relations Internationales et les théories de la dissuasion, mais aussi sur l'importance de rejeter les droits de l'homme et le féminisme (dont sa vision, que j'ai décrite rapidement précédemment, me paraît d'ailleurs assez essentialiste) qui ne mènerait qu'à l'affaiblissement de la civilisation face aux envahisseurs potentiels. D'ailleurs, il semble confirmer son propos (et notamment sa condamnation de Cheng Xin) au gré de ses interviews et entretiens (sans parler de ses propos négationnistes assez immonde sur les Ouïghours qui montrent bien que les droits humains sont quelque chose de totalement dispensable pour lui). Les nationalistes chinois ne s'y sont pas trompés et apprécient ce roman dans lequel ils retrouvent leur rhétorique pour défendre l'autoritarisme du Parti Communiste Chinois (voir pour considérer que celui-ci devrait être plus dur vis-à-vis de ses opposants) autant qu'ils vomissent Cheng Xin et la supposée « Cheng Xinisation » de la société, comme le montre la chercheuse Zhang Chenchen dans ce très bon article ci-dessous, de loin le meilleur article traitant du propos de la fin du tome 2 et du tome 3 de la saga des Trois Corps et son utilisation politique :
Pour autant, ce serait mentir que de dire que ce dernier tome était uniformément détestable, sans rien à sauver du début à la fin des 935 pages que compte sa traduction française. Il y a tout de même de-ci de-là quelques belles idées de science-fiction qui rappellent que Liu Cixin est, malgré tout les reproches qu'on peut lui faire, capable d'être un écrivain de qualité.
Un bon exemple de cela est le développement de l'histoire d'amour au long cours, entre Cheng Xin et Yun Tianming, malgré tout ce qui les sépare. Le pivot de cette histoire, le moment de leurs émouvantes retrouvailles, malgré l'espace qui les éloigne et le contrôle strict des Trisolariens, est probablement une des plus belles scènes de ce roman. Elle débouche sur un Conte en trois parties venant du personnage de Yun Tianming. La narration de ce conte marque une respiration, sortant, le temps d'une belle petite histoire, du style de science-fiction de cette trilogie. Ce Conte prend également un fort sens tragique pour l'humanité, qui essaye de le décrypter, mais sans jamais comprendre tout à fait correctement le sens que Yun Tianming lui a donné et les informations pourtant cruciales qu'il y a intégré.
Par ailleurs, certains personnages ou détails plus « anecdotiques » ont le droit à un vrai développement, ce qui participe à donner de la vie et un effet d'ampleur au récit. Les deux exemples les plus réussis sont, de loin, l'histoire de 高Way avec son trou noir et celle du Chanteur, petit employé au travail Kafkaïen d'une civilisation dont on ne connaîtra que des bribes, pour qui détruire des systèmes solaires comme celui de la terre est une banalité dans laquelle ce Chanteur essaye de trouver un peu de poésie.
Cependant, ces beaux passages ne suffisent vraiment pas, à mes yeux, à sauver ce tome dont le but me semble surtout de sortir de l’ambiguïté qui pouvait subsister du tome précédent pour enfoncer le clou très indigeste d'un discours cochant les cases d'une rhétorique nationaliste chinoise servant à justifier les politiques les plus expansionnistes, et ce, conjuguées au rejet, voire à l'hostilité vis-à-vis des droits les plus basiques des individus, considéré comme précipitant ceux qui les suivent, tôt ou tard, vers la disparition.
Créée
le 15 août 2024
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